vendredi 28 août 2009

ORDINAIRE 22 (B)

1ère lecture : Dt 4,1-2.6-8

2è lecture : Jc 1,17-18.21b-22.27

Évangile : Mc 7,1-8.14-15.21-23

Après avoir fait une incursion depuis 5 semaines dans l’évangile de Jean, sur le discours sur le Pain de Vie, on revient aujourd’hui à saint Marc, l’évangéliste de l’année B, pour entendre une Parole, l’écouter attentivement, l’interpréter et l’actualiser, afin de nous nourrir pour la mettre en pratique. Malheureusement, comme c’est souvent le cas en liturgie, on a coupé des versets importants dans l’évangile qui illustraient les messages que l’évangéliste a voulu faire passer à sa communauté. On a fait la même chose dans la lettre de saint Jacques dont nous avons un extrait aujourd’hui. En lisant ces textes bibliques, je me suis demandé : Quel visage de Dieu se dessine à travers la Parole de ce dimanche? L’exégète Gérard Sindt écrit : « Notre Dieu est un Dieu qui veut des hommes libres et non des esclaves, qui attend une réponse filiale et non une soumission aliénante. Ce n’est pas la stricte observance de préceptes douteux qui honore Dieu : c’est la fidélité au commandement unique : Tu aimeras! »

1. Religion//Foi : Le prêtre français François Varone disait qu’il fallait sans cesse passer de la religion à la foi. Pourquoi? Parce que la religion finit par étouffer la foi jusqu’à la faire mourir. Mais y a-t-il opposition entre les deux ou bien complémentarité? Léon Paillot écrit : « Religion ou foi? Religion et foi? Je crois que Jésus indique des priorités : ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Certes, la foi à l’état pur n’existe pas : elle se matérialise dans des attitudes, des sentiments, des gestes, des décisions. Dans l’Église, il y a des rites, des dévotions, des formulations dogmatiques, des structures qui peuvent varier selon les époques et les lieux. C’est normal. Mais l’important, c’est de ne pas faire passer ces formes changeantes avant l’essentiel, qui est la foi, que ces formes sont chargées d’incarner. L’appareil religieux n’est pas le but, mais un moyen qui nous indique la direction pour aller vers l’Autre ».

Si je comprends bien l’évangile d’aujourd’hui, ce que le Christ dénonce, c’est de mettre la religion au-dessus de la foi. Qu’est-ce qui est le plus important? Manger avec des mains sales qui ont travaillé, secouru, réconforté? Ou bien manger avec des mains nettes qui n’ont rien fait pour les autres? Vous allez me dire : Oui! Mais on peut se salir les mains et les laver avant de manger…C’est évident! Mais là n’est pas la question soulevée par Marc. Ce que l’évangéliste veut faire comprendre à ses lecteurs, c’est que les règles de pureté sont devenues tellement importantes que les pharisiens et les scribes n’osent plus rien faire pour ne pas contracter une impureté. C’est la règle, la religion et ses rites qui prend le dessus sur la foi et sa pratique.

L’exemple que saint Marc donne et qui est coupé dans le lectionnaire est le suivant : Jésus dit aux pharisiens et aux scribes : « Vous repoussez bel et bien le commandement de Dieu (le commandement de l’Amour) pour garder votre tradition (v. 9). Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère (v. 10) (ce qui signifie : occupe-toi d’eux s’ils ont besoin d’assistance). Mais vous, vous dites : Si quelqu’un dit à son père ou à sa mère : le secours que tu devais recevoir de moi est qorban, c’est-à-dire offrande sacrée (v. 11), vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère (v. 12); vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre (v. 13) » (Mc 7,9-13). Ce n’est pas pour rien que le Christ de l’évangile traite les pharisiens et les scribes d’hypocrites en citant le prophète Isaïe dans la version grecque de la Septante : « Ce peuple n’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Il est inutile le culte qu’ils me rendent; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains » (Mc 7,6-7).

Encore aujourd’hui, ne fait-on pas des choses semblables en Église? Au nom de la tradition, lorsqu’on prive des communautés de l’eucharistie dominicale, sous prétexte qu’on ne peut changer les règles d’ordination des prêtres, ne fait-on pas passer la règle devant l’essentiel? Lorsqu’on refuse aux femmes la pleine égalité avec les hommes dans l’Église, nous nous rendons complices d’une grave injustice qui est pourtant corrigée par les sociétés civiles évoluées. Comment se fait-il qu’on se cache derrière la tradition pour justifier l’injustifiable? Un autre exemple moins grave : lorsqu’à la fin d’une célébration de mariage avec eucharistie, le samedi après-midi, où on me demande si ça compte pour le dimanche, j’ai ben de la misère à répondre à ça! Qu’est-ce qui est l’essentiel? Remplir un précepte ou venir célébrer sa foi? Mais au fait : qu’est-ce que l’essentiel dans la foi chrétienne?

2. L’essentiel : D’après les lectures que nous avons aujourd’hui, 3 choses sont essentielles :

1) La liberté : Dieu nous veut libre…Il est proche de nous; il fait histoire avec nous. Sa Parole nous fait vivre; elle rétablit la justice. Ne sont-ce pas les propos de l’auteur du livre du Deutéronome? « Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons? Et quelle est la grande nation dont les commandements et les décrets soient aussi justes que toute cette Loi que je vous présente aujourd’hui? » (Dt 4,7-8)

2) La pratique : En 2è lecture aujourd’hui, saint Jacques nous dit : « Accueillez donc humblement la parole de Dieu semée en vous; elle est capable de vous sauver » (Jc 1,21). Mais cette Parole de Dieu qui germe en nous, on ne peut pas l’écouter seulement; il faut la mettre en pratique : « Mettez la Parole en application, ne vous contentez pas de l’écouter; ce serait vous faire illusion » (Jc 1,22). Mais que veut dire pratiquer sa foi? Est-ce d’abord aller à la messe le dimanche? Faire ses prières et ses dévotions? Non! Pratiquer sa foi, c’est venir en aide aux plus démunis, c’est accueillir les exclus, c’est partager avec les pauvres : « Devant Dieu notre Père, la manière pure et irréprochable de pratiquer la religion, c’est de venir en aide aux orphelins et aux veuves dans leur malheur, et de se garder propre au milieu du monde » (Jc 1,27). Au temps de saint Jacques, les veuves et les orphelins sont parmi les plus démunis de la société d’alors…Aujourd’hui qui sont-ils?

3) L’Amour : Le Christ de l’évangile de Marc reproche aux pharisiens et aux scribes de ne pas respecter le commandement de Dieu qui est le commandement de l’Amour. L’homme est fait pour aimer et rien ne peut l’empêcher d’aimer; c’est souvent ce qui sort de lui qui est contraire à l’Amour : « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » (Mc 7,15). Comme le dit bien Gérard Sindt : « Mieux vaut avoir les mains sales que pas de mains! » Ce qui signifie qu’il nous faut passer de la parole à l’action. L’exégète français Jean Debruynne ajoute : « C’est si facile de transformer les règlements en parapluie ». Ça nous protège des autres, mais ça nous empêche d’intervenir pour accueillir, accompagner, secourir, redonner la dignité et restaurer la justice pour ceux et celles qui en ont réellement besoin. Par la suite, après avoir pratiquer sa foi, on peut venir célébrer les mains sales, l’Amour qu’on a reçu et partagé.

En terminant, je voudrais simplement vous citer une parole du 13è siècle qui nous vient de saint Antoine de Padoue : « La parole est vivante, lorsque ce sont les actions qui parlent. Je vous en prie, que les paroles se taisent, et que les actions parlent. Nous sommes pleins de paroles mais vides d’actions ».

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

vendredi 21 août 2009

ORDINAIRE 21 (B)

Réf. Bibliques : 2è lecture : Ép 5,21-32

Évangile : Jn 6,60-69

Nous avons aujourd’hui la conclusion du discours sur le Pain de Vie, dans l’évangile de Jean. Ce qui est particulier, à la fin de ce discours, c’est qu’on assiste, non seulement à l’opposition des Juifs, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas au Christ, mais aussi à l’opposition des disciples eux-mêmes qui refusent de tels propos sur la chair à manger et le sang à boire : « Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, s’écrièrent : Ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter! » (Jn 6,60). Ce qui veut dire que déjà, chez les premiers chrétiens, dans la communauté de saint Jean à tout le moins, il n’y avait pas unanimité sur le contenu de la foi au Christ ressuscité. Ce n’est pas pour rien, comme je le disais la semaine passée, qu’il y avait des adeptes du docétisme, cette doctrine combattue par l’évangéliste, qui enseignait que le Christ avait fait semblant d’être un homme puisqu’il était Fils de Dieu. Alors, les questions qu’on se pose aujourd’hui sont les suivantes : Que refusent les disciples exactement? Où en sommes-nous maintenant dans notre foi au Christ?

1. Le refus des disciples : L’évangéliste Jean vient de faire dire à Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). Ce qui veut dire que c’est par son humanité assumée jusqu’au bout que Jésus est devenu Christ, Seigneur, Fils de Dieu, et que c’est en vivant de sa vie, en adoptant ses comportements et ses valeurs…bref, en assumant notre propre humanité à nous, que nous pouvons espérer ressusciter comme lui et devenir nous aussi des fils et des filles de Dieu, des Christs ressuscités. De tels propos passent difficilement…Pourquoi? Tout simplement, parce qu’il est difficile d’admettre et de croire que notre Dieu ne peut se dire autrement qu’à travers notre humanité dans toute sa fragilité et sa finitude. C’est ce qui a fait dire au pape actuel Benoît XVI, dans son livre sur Jésus : « N’aurait-il pas été plus facile de nous élever au-dessus des contingences de ce monde pour percevoir dans une paisible contemplation le mystère ineffable? »

Mais ce n’est pas là la foi chrétienne. Dieu s’est fait rencontrer à travers un homme, Jésus de Nazareth, à une époque et à un moment précis de l’histoire : « Ce qui paraît d’abord être la révélation la plus radicale devient en même temps facteur d’obscurité extrême. Dieu s’est tellement rapproché de nous qu’il semble cesser d’être Dieu pour nous ». Cependant, j’ajouterais : C’est ce qui fait la richesse de notre foi, la grandeur, la beauté et la dignité des disciples du Christ, dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils sont appelés à devenir. Malheureusement, de tous temps, les hommes et les femmes ont eu de la difficulté à s’assumer dans leur humanité, d’où le refus de croire en l’humanité du Christ : « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui » (Jn 6,66).

2. Les disciples d’aujourd’hui : Où en sommes-nous aujourd’hui? Qu’en est-il de notre foi chrétienne? Il y a bien sûr, de nos jours, toutes ces femmes et ces hommes, et ils sont nombreux, qui ne croient pas au Christ, ni même en un Dieu…Ceux-là ont leurs raisons et doivent être respectés. Mais les autres, celles et ceux qui y croient, comment se situent-ils par rapport à ce discours de saint Jean sur le Pain de Vie? En regardant notre Église, j’ai l’impression parfois que les chrétiens d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, éprouvent des difficultés à accepter de vivre leur humanité et à croire que c’est par elle que Dieu peut encore se dire et s’exprimer aujourd’hui.

C’est pourtant ce que Jésus de Nazareth est venu nous apprendre…mais on préfère le contempler comme Christ ressuscité, glorifié, Seigneur de gloire, enfermé dans les tabernacles de nos églises ou exposé sur l’autel dans un ostensoir doré, plutôt que de le voir marcher sur la route, manger avec les pécheurs, relever les prostituées, accueillir les exclus, guérir les blessés de la vie, pardonner et aimer inconditionnellement. On a tellement de misère à le regarder tel qu’il a été dans son humanité : un révolutionnaire, un réformateur, un libérateur, qu’on a créé une institution religieuse qui ressemble bien plus à la religion légaliste de l’Ancien Testament qu’à l’Église des commencements. Quand la doctrine se fige dans le ciment et qu’elle ne répond plus à la réalité humaine contemporaine, et quand la règle et la discipline prennent le dessus sur la personne humaine qu’elles sont censées servir et que les dirigeants de notre Église s’obstinent à ne pas adapter aux réalités nouvelles, on peut vraiment dire que nous refusons aujourd’hui de manger la chair et de boire le sang de celui qu’on prétend être ses disciples et qu’on dit vouloir continuer à suivre.

En 2è lecture aujourd’hui, on a un bel exemple d’un texte biblique qu’il nous faut relire à la lumière de notre réalité contemporaine. Pour se faire, il nous faut situer le texte dans son contexte historique, le réinterpréter et l’actualiser, si on veut demeurer fidèle à son auteur qu’on appelle Paul et si on veut faire naître une Parole de Dieu aujourd’hui. Au temps de saint Paul, la femme était la propriété de son mari, presque son esclave; elle n’avait aucun droit. Lorsque Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, fait le parallèle de la relation homme/femme pour parler de la relation Christ/Église, il utilise l’image du couple de son époque. Par ailleurs, on peut vraiment dire qu’il était avant-gardiste, puisqu’il demande aux hommes de son temps d’aimer leur femme, ce qui n’était pas coutumier à son époque, et de se mettre à leur service, comme le Christ le fait pour son Église : « Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle » (Ép 5,25).

Mais aujourd’hui, de tels propos sont inacceptables. Par souci de fidélité à saint Paul, il faut inviter l’Église à reconnaître l’égalité homme/femme, ce qu’elle ne reconnaît toujours pas, 2,000 ans après saint Paul. J’ai le goût de dire : Dépêchons-nous! Si on veut faire naître une Parole neuve de Dieu qui corresponde à notre réalité humaine et qui respecte l’esprit de la lettre aux Éphésiens. Malheureusement, certains liront ce texte biblique, de façon littérale, sans plus, au risque de choquer une partie de l’assistance. Et d’autres, le laisseront tomber, au lieu d’en faire découvrir sa nouveauté et l’interpellation que son auteur suggère à l’Église de notre temps.

En terminant, la question posée aux Douze dans l’évangile d’aujourd’hui : « Voulez-vous partir, vous aussi? » (Jn 6,67), à laquelle Simon-Pierre répondit : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68), c’est à nous qu’elle est posée maintenant. Et ce n’est pas tout d’y répondre par une phrase qui ressemblerait à celle de Pierre…Accepter de poursuivre la route avec Christ, c’est manger sa chair et boire son sang, c’est-à-dire assumer notre humanité jusqu’au bout, en nous inspirant de la sienne, et nous laisser transformer par ce que Jésus à été dans sa vie humaine pour devenir ce qu’il est devenu à Pâques : Christ, Seigneur, Fils de Dieu.

Bonne réflexion! Raymond Gravel ptre

Bonne Homélie! Diocèse de Joliette.

vendredi 14 août 2009

ORDINAIRE 20 (B)

Évangile : Jn 6,51-58

Le discours sur le Pain de Vie se continue. Avec la dernière phrase de dimanche passé et la première de ce dimanche : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51), on assiste à une nouvelle protestation des Juifs, c’est-à-dire des non-croyants au Christ : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger? » (Jn 6,52). Oui, répond le Christ de l’évangile, ses paroles sont à prendre au pied de la lettre, dans un sens on ne peut plus clair : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53). C’est très clair : pour vivre éternellement, pour ressusciter, il faut manger de ce pain-là : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). Mais pourquoi une telle insistance? Et que retenir de tout ça?

1. La chair et le sang : Comme l’explique bien le prêtre Léon Paillot, la chair et le sang, c’est une expression sémitique, qui signifie l’homme tout entier, en tant qu’il est matière. C’est un mot plus fort, plus concret que le mot corps. Il cherche à traduire ce que l’on voit de l’homme vivant, son aspect extérieur, corporel, terrestre. Et lorsqu’on dit la chair donnée et le sang versé, ça fait référence à la mort de Jésus sur la croix du Vendredi Saint. Et comme le Vendredi Saint n’est pas une fin en soi, puisqu’il est suivi du dimanche de Pâques, de la Résurrection, pour les chrétiens, il faut manger et boire celui qui est mort pour ressusciter avec lui.

Une remarque importante : Si la chair, c’est uniquement l’aspect matériel et mortel de l’homme et le corps, l’aspect matériel et spirituel de l’homme, pourquoi saint Jean insiste-t-il tant sur la chair? Au temps de l’évangéliste Jean, il y avait une hérésie qu’on appelle le docétisme : une doctrine qui affirme que le Christ a fait semblant d’être un homme, puisqu’il était Fils de Dieu. L’évangéliste Jean veut combattre cette doctrine; ce n’est pas pour rien qu’au tout début de son évangile, dans son prologue, saint Jean affirme : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jn 1,14a).

2. Manger la chair et boire le sang : Qu’est-ce à dire? C’est évident qu’il ne s’agit pas de cannibalisme. Les verbes manger et boire s’emploient aussi au sens figuré. Ne dit-on pas de quelqu’un qui parle bien que l’on boit ses paroles et qu’on dévore un livre qu’on trouve intéressant? Donc, manger la chair et boire le sang, c’est nous nourrir de la vie et de la mort de celui qui est devenu Christ et Seigneur à Pâques. C’est nous nourrir de ce qu’il a été dans sa vie mortelle : un homme de cœur, de pardon, de miséricorde, un révolutionnaire de la religion, un prophète, un guérisseur, un libérateur, quelqu’un qui nous a appris à aimer véritablement…pour devenir ce qu’il est devenu lui-même : un Ressuscité, un Christ, un Seigneur, un Fils de Dieu : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui » (Jn 6,56). Il y a comme une transformation et une fusion qui s’opèrent en nous, dans notre humanité, lorsqu’on se nourrit de son humanité.

Le théologien français Gérard Bessière résume bien ce que signifie manger la chair et boire le sang du Christ : « La chair et le sang, en hébreu comme en araméen, c’est l’homme concret, fragile, vulnérable. Dès le début de l’évangile de Jean, on pouvait lire : Le Verbe s’est fait chair. Il ne s’agissait pas d’un organisme sans âme ni esprit. Ces mots affirmaient que la Parole de Dieu était désormais une personne, ce Jésus que l’on avait vu marcher, pardonner, guérir, libérer, au nom du Dieu qui aime et cherche la brebis perdue. Ce Jésus que ses ennemis avait clouer sur un croix : chair et sang…Avec lui, la Parole de Dieu n’était plus seulement un message : c’était une vie, celle d’un charpentier qui avait bousculé sa société et même sa religion pour ouvrir une voie neuve, avec Dieu, vers l’avenir humain. Ce n’était pas une abstraction, mais tel homme, un certain Jésus, dont les évangiles rappelaient le comportement à jamais novateur. À ceux qui étaient tentés de regarder vers un être céleste, loin de l’existence quotidienne, les paroles sanglantes de l’évangile de Jean rappellent que la vraie vie n’est pas une évasion vers les nuées. Suivre Jésus, c’est recevoir de lui des manières neuves de penser, de sentir, d’agir. Entre lui et nous, une transfusion de vie ».

3. L’Eucharistie : C’est évident que ce discours de saint Jean fait référence explicitement à l’Eucharistie, qu’on célébrait déjà dans sa communauté…Mais attention! Que signifie célébrer l’Eucharistie? Que signifie participer à la messe? Léon Paillot écrit : « Si nous venons à l’Eucharistie comme on va à la pompe à essence pour faire le plein de sa voiture, si elle devient un simple rite dans lequel nous pensons faire le plein de nos forces et de nos énergies spirituelles, alors ne nous étonnons pas de ne pas avancer et d’en être toujours au même point; et donc de nous décourager et d’en venir à penser : À quoi bon! ». Et là, on décroche et on n’y va plus, parce qu’on se rend compte que ça ne sert à rien. Mais si la messe, l’Eucharistie nous permet d’exprimer notre désir de ressembler davantage au Christ, au point d’adopter ses comportements et ses valeurs et de vivre de sa vie, l’Eucharistie nous transformera et nous fera devenir de plus en plus, non seulement ce que Jésus a été, un homme, mais aussi ce qu’il est devenu, un Fils de Dieu.

La messe, c’est le lieu par excellence pour vivre une telle expérience, où l’on est appelé à partager le Pain de la Vie. Malheureusement, nos messes ressemblent plus à des stations services où l’on fait le plein, plutôt qu’à des lieux de don et de partage de ce que nous sommes et de ce que nous avons à offrir. Par ailleurs, comme la messe n’est pas le seul lieu où peut se vivre cette transformation et cette fusion avec le Christ ressuscité, on peut même affirmer que plusieurs s’en nourrissent en dehors de nos églises. La seule chose qui leur manque : c’est de venir en témoigner et le partager avec les autres. Rappelons-nous simplement cette parole de saint Augustin : « Devenez ce que vous mangez. Vous mangez le corps du Christ, devenez corps du Christ ».

En terminant, la fin du discours que nous aurons dimanche prochain nous dira que la chair ne sert à rien; c’est l’Esprit qui fait vivre (Jn 6,63). Dans le fond, la chair et le sang ne seraient rien sans cette puissance de vie qui relie le Christ à ses amis et donne à son corps un goût de pain et d’éternité. Ce qui signifie que l’Eucharistie est une nourriture spirituelle qui nous fait vivre à travers le Christ de Pâques. Nous sommes comme traversés de part en part par la vie divine pour être envoyés en mission afin de donner la vie à tous ceux et celles que nous rencontrons.

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

vendredi 7 août 2009

ORDINAIRE 19 (B)

1ère lecture : 1 R 19,4-8

2è lecture : Ép 4,30-5,2

Évangile : Jn 6,41-51

Après avoir lu le récit de la multiplication des pains ou plutôt le récit du don et du partage du pain, il y a deux semaines et, après avoir établi toutes les faims du monde qu’il nous faut apaiser et les déserts qu’il nous faut traverser, la semaine passée, nous entrons aujourd’hui dans ce discours, dit de Jésus, sur le Pain de Vie dans l’évangile de Jean. Voilà pleins de questions qui surgissent : Qui parle? À qui parle-t-il? De quoi parle-t-il? À partir de l’extrait du discours qui nous est proposé aujourd’hui, essayons de répondre à ces questions…

1. Qui parle? Est-ce Jésus de Nazareth, un peu avant sa mort, qui a pu tenir de tels propos à ses proches? C’est impossible! Comment Jésus de Nazareth, un homme simple et aussi ordinaire, sans prétention aucune, pouvait-il savoir à l’avance ce que Pâques nous a dévoilé? Aussi, c’est ne rien comprendre aux évangiles que de croire, que ce qu’ils nous racontent, n’est pas le fruit d’une longue réflexion théologique post-pascale de ceux et de celles qui ont cru à la nouveauté de Pâques et qui ont reconnu dans cet homme de Nazareth, non seulement un prophète de Dieu, mais aussi un Messie, un Christ, un Seigneur, un Sauveur. Il a fallu du temps aux premiers chrétiens pour comprendre le message pascal et pour réaliser qu’ils sont eux-mêmes présence du Ressuscité au sein de leurs communautés respectives. Et, celui qui parle dans l’évangile de Jean, c’est le Christ ressuscité, à travers l’évangéliste, qui s’adresse d’abord à sa communauté, mais aussi à nous aujourd’hui, qui relisons son évangile et ce discours sur le Pain de Vie.

2. À qui parle-t-il? L’évangéliste Jean s’adresse à des lecteurs chrétiens qui ont l’expérience de l’Eucharistie, et qui, à cause de la routine, ont besoin de s’entendre rappeler qui ils rencontrent dans ce sacrement. Ces lecteurs chrétiens qui composent sa communauté sont issus du monde juif et du monde païen et sont influencés par des courants gnostiques qui avaient développé une aversion pour les réalités matérielles ou charnelles et qui enseignaient qu’il faut se dégager de la matière pour atteindre Dieu qui est source de lumière et de vie, et obtenir ainsi son salut par la connaissance de la vérité.

Dans cette partie du discours qu’on a aujourd’hui, saint Jean compare ses auditeurs aux Hébreux du désert qui se révoltaient contre les envoyés de Dieu et, à travers eux, contre Dieu lui-même (Ex 16,2). La contestation que Jean attribue aux Juifs, non pas le peuple juif mais bien ceux qui refusent le Christ, ne porte pas sur le fait que Jésus propose le pain véritable qui nourrit spirituellement. Elle bute sur l’origine divine du Christ, alors que tout le monde connaît l’origine humaine de Jésus de Nazareth : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors, comment peut-il dire : Je suis descendu du ciel? » (Jn 6,42). Voilà le problème des chrétiens du 1er siècle et même des chrétiens d’aujourd’hui…Que devons-nous comprendre?

3. De quoi parle-t-il? « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel » (Jn 6,41). Qu’est-ce que cela veut dire? C’est évident qu’au temps de l’évangéliste Jean, les premiers chrétiens croyaient que Jésus était Fils de Dieu et qu’il est devenu Christ et Seigneur à Pâques. Par ailleurs, ce n’est pas en niant son humanité et la nôtre qu’on peut l’atteindre et lui ressembler. Au contraire, c’est par son humanité que Jésus nous rejoint et c’est par sa divinité qu’il nous ressuscite, qu’il nous donne sa vie, qu’il nous divinise nous aussi. Le prêtre français André Sève écrit : « Le texte d’aujourd’hui nous appelle à un choix très personnel. Si Jésus n’est pour nous qu’un personnage céleste il nous est trop étranger. S’il n’est qu’un homme ordinaire pourquoi lui livrerions-nous notre vie? Il faut que nous arrivions à tenir ensemble ces deux vérités : tu es un homme comme moi, né sur la terre, mais comme tu es descendu du ciel tu me dis Dieu et tu m’emmènes vers Dieu. Voilà pourquoi ça vaut la peine de te suivre ».

Il faut donc toujours garder l’équilibre entre les deux : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51). La chair du Christ, c’est son humanité dans toute sa fragilité. Y communier, c’est d’abord participer à son humanité, en assumant la nôtre jusqu’au bout et en la partageant avec les autres pour accéder à sa divinité. Voilà le pain vivant qui descend du ciel et qui nous transforme pour nous faire monter au ciel : « Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas » (Jn 6,49-50). Mais attention! Manger le pain de vie ne se réduit pas à manger une hostie! C’est manger le Christ, nous nourrir de lui, nous laisser transformer par lui, pour devenir Christ à notre tour. Et ça ne se fait pas tout seul, mais avec les autres. L’exégète québécois André Myre, dans un petit livre savoureux : Ciel! Où allons-nous? Éditions Paulines, 1991, nous montre que le salut, la résurrection n’est pas un acte individuel, mais collectif, communautaire. Il écrit : « C’est pourquoi il est significatif que la résurrection soit une réalité collective. Le corps ressuscité que l’on espère n’est pas d’abord le corps individuel, dans sa matérialité; c’est le corps qui communique, le corps en lien avec la nature, le corps qui parle, le corps qui aime, le corps qui prie. Le corps résume l’humanité et le cosmos. C’est le corps de l’humanité qui ressuscitera. C’est pourquoi la résurrection d’un seul, coupé des autres, est impensable ». Nous sommes donc responsables les uns des autres : « Je contribue au salut des autres et eux au mien ».

C’est ce qui caractérise l’Homme nouveau qu’on retrouve dans la lettre aux Éphésiens dont on a un autre extrait aujourd’hui. Il nous faut nous dépouiller du vieil Homme, de l’Homme ancien : « Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté » (Ép 4,31). Il nous faut revêtir l’Homme nouveau : « Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns les autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Ép 4,32). Dans le Notre-Père, n’est-ce pas ce que nous disons, lorsque nous exprimons ce renvoi mutuel entre le pardon de Dieu et le nôtre? Nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu au même titre que Jésus Christ…rien de moins!

En terminant, il peut nous arriver à nous aussi de croire que la puissance de Dieu s’exprime dans la violence et dans les événements extraordinaires de la vie. C’est un peu l’expérience du prophète Élie, qui est en guerre contre la reine Jézabel et les prophètes de Baal. Très tôt, Élie se rend compte qu’il s’est trompé sur Dieu. Croyant que Dieu l’a abandonné, il est découragé et veut mourir : « Il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : Maintenant, Seigneur, c’en est trop! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères » (1 R 19,4). Par ailleurs, Dieu lui réserve une surprise. Mais pour qu’Élie puisse en bénéficier, il lui faut se convertir, c’est-à-dire marcher pendant 40 jours et 40 nuits, jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu, et c’est là que le prophète va prendre conscience que Dieu ne se manifeste pas dans la tempête et l’ouragan, mais bien plutôt dans la douceur de la brise légère (1 R 19,12). Quel beau texte pour nous parler de la grande discrétion de notre Dieu! Il ne demande qu’à se faire rencontrer, mais pour y parvenir, soyons attentifs aux brises légères qui sont toujours dans les petites choses de la vie.

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette