vendredi 14 août 2009

ORDINAIRE 20 (B)

Évangile : Jn 6,51-58

Le discours sur le Pain de Vie se continue. Avec la dernière phrase de dimanche passé et la première de ce dimanche : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51), on assiste à une nouvelle protestation des Juifs, c’est-à-dire des non-croyants au Christ : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger? » (Jn 6,52). Oui, répond le Christ de l’évangile, ses paroles sont à prendre au pied de la lettre, dans un sens on ne peut plus clair : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53). C’est très clair : pour vivre éternellement, pour ressusciter, il faut manger de ce pain-là : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). Mais pourquoi une telle insistance? Et que retenir de tout ça?

1. La chair et le sang : Comme l’explique bien le prêtre Léon Paillot, la chair et le sang, c’est une expression sémitique, qui signifie l’homme tout entier, en tant qu’il est matière. C’est un mot plus fort, plus concret que le mot corps. Il cherche à traduire ce que l’on voit de l’homme vivant, son aspect extérieur, corporel, terrestre. Et lorsqu’on dit la chair donnée et le sang versé, ça fait référence à la mort de Jésus sur la croix du Vendredi Saint. Et comme le Vendredi Saint n’est pas une fin en soi, puisqu’il est suivi du dimanche de Pâques, de la Résurrection, pour les chrétiens, il faut manger et boire celui qui est mort pour ressusciter avec lui.

Une remarque importante : Si la chair, c’est uniquement l’aspect matériel et mortel de l’homme et le corps, l’aspect matériel et spirituel de l’homme, pourquoi saint Jean insiste-t-il tant sur la chair? Au temps de l’évangéliste Jean, il y avait une hérésie qu’on appelle le docétisme : une doctrine qui affirme que le Christ a fait semblant d’être un homme, puisqu’il était Fils de Dieu. L’évangéliste Jean veut combattre cette doctrine; ce n’est pas pour rien qu’au tout début de son évangile, dans son prologue, saint Jean affirme : « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jn 1,14a).

2. Manger la chair et boire le sang : Qu’est-ce à dire? C’est évident qu’il ne s’agit pas de cannibalisme. Les verbes manger et boire s’emploient aussi au sens figuré. Ne dit-on pas de quelqu’un qui parle bien que l’on boit ses paroles et qu’on dévore un livre qu’on trouve intéressant? Donc, manger la chair et boire le sang, c’est nous nourrir de la vie et de la mort de celui qui est devenu Christ et Seigneur à Pâques. C’est nous nourrir de ce qu’il a été dans sa vie mortelle : un homme de cœur, de pardon, de miséricorde, un révolutionnaire de la religion, un prophète, un guérisseur, un libérateur, quelqu’un qui nous a appris à aimer véritablement…pour devenir ce qu’il est devenu lui-même : un Ressuscité, un Christ, un Seigneur, un Fils de Dieu : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui » (Jn 6,56). Il y a comme une transformation et une fusion qui s’opèrent en nous, dans notre humanité, lorsqu’on se nourrit de son humanité.

Le théologien français Gérard Bessière résume bien ce que signifie manger la chair et boire le sang du Christ : « La chair et le sang, en hébreu comme en araméen, c’est l’homme concret, fragile, vulnérable. Dès le début de l’évangile de Jean, on pouvait lire : Le Verbe s’est fait chair. Il ne s’agissait pas d’un organisme sans âme ni esprit. Ces mots affirmaient que la Parole de Dieu était désormais une personne, ce Jésus que l’on avait vu marcher, pardonner, guérir, libérer, au nom du Dieu qui aime et cherche la brebis perdue. Ce Jésus que ses ennemis avait clouer sur un croix : chair et sang…Avec lui, la Parole de Dieu n’était plus seulement un message : c’était une vie, celle d’un charpentier qui avait bousculé sa société et même sa religion pour ouvrir une voie neuve, avec Dieu, vers l’avenir humain. Ce n’était pas une abstraction, mais tel homme, un certain Jésus, dont les évangiles rappelaient le comportement à jamais novateur. À ceux qui étaient tentés de regarder vers un être céleste, loin de l’existence quotidienne, les paroles sanglantes de l’évangile de Jean rappellent que la vraie vie n’est pas une évasion vers les nuées. Suivre Jésus, c’est recevoir de lui des manières neuves de penser, de sentir, d’agir. Entre lui et nous, une transfusion de vie ».

3. L’Eucharistie : C’est évident que ce discours de saint Jean fait référence explicitement à l’Eucharistie, qu’on célébrait déjà dans sa communauté…Mais attention! Que signifie célébrer l’Eucharistie? Que signifie participer à la messe? Léon Paillot écrit : « Si nous venons à l’Eucharistie comme on va à la pompe à essence pour faire le plein de sa voiture, si elle devient un simple rite dans lequel nous pensons faire le plein de nos forces et de nos énergies spirituelles, alors ne nous étonnons pas de ne pas avancer et d’en être toujours au même point; et donc de nous décourager et d’en venir à penser : À quoi bon! ». Et là, on décroche et on n’y va plus, parce qu’on se rend compte que ça ne sert à rien. Mais si la messe, l’Eucharistie nous permet d’exprimer notre désir de ressembler davantage au Christ, au point d’adopter ses comportements et ses valeurs et de vivre de sa vie, l’Eucharistie nous transformera et nous fera devenir de plus en plus, non seulement ce que Jésus a été, un homme, mais aussi ce qu’il est devenu, un Fils de Dieu.

La messe, c’est le lieu par excellence pour vivre une telle expérience, où l’on est appelé à partager le Pain de la Vie. Malheureusement, nos messes ressemblent plus à des stations services où l’on fait le plein, plutôt qu’à des lieux de don et de partage de ce que nous sommes et de ce que nous avons à offrir. Par ailleurs, comme la messe n’est pas le seul lieu où peut se vivre cette transformation et cette fusion avec le Christ ressuscité, on peut même affirmer que plusieurs s’en nourrissent en dehors de nos églises. La seule chose qui leur manque : c’est de venir en témoigner et le partager avec les autres. Rappelons-nous simplement cette parole de saint Augustin : « Devenez ce que vous mangez. Vous mangez le corps du Christ, devenez corps du Christ ».

En terminant, la fin du discours que nous aurons dimanche prochain nous dira que la chair ne sert à rien; c’est l’Esprit qui fait vivre (Jn 6,63). Dans le fond, la chair et le sang ne seraient rien sans cette puissance de vie qui relie le Christ à ses amis et donne à son corps un goût de pain et d’éternité. Ce qui signifie que l’Eucharistie est une nourriture spirituelle qui nous fait vivre à travers le Christ de Pâques. Nous sommes comme traversés de part en part par la vie divine pour être envoyés en mission afin de donner la vie à tous ceux et celles que nous rencontrons.

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette