vendredi 7 août 2009

ORDINAIRE 19 (B)

1ère lecture : 1 R 19,4-8

2è lecture : Ép 4,30-5,2

Évangile : Jn 6,41-51

Après avoir lu le récit de la multiplication des pains ou plutôt le récit du don et du partage du pain, il y a deux semaines et, après avoir établi toutes les faims du monde qu’il nous faut apaiser et les déserts qu’il nous faut traverser, la semaine passée, nous entrons aujourd’hui dans ce discours, dit de Jésus, sur le Pain de Vie dans l’évangile de Jean. Voilà pleins de questions qui surgissent : Qui parle? À qui parle-t-il? De quoi parle-t-il? À partir de l’extrait du discours qui nous est proposé aujourd’hui, essayons de répondre à ces questions…

1. Qui parle? Est-ce Jésus de Nazareth, un peu avant sa mort, qui a pu tenir de tels propos à ses proches? C’est impossible! Comment Jésus de Nazareth, un homme simple et aussi ordinaire, sans prétention aucune, pouvait-il savoir à l’avance ce que Pâques nous a dévoilé? Aussi, c’est ne rien comprendre aux évangiles que de croire, que ce qu’ils nous racontent, n’est pas le fruit d’une longue réflexion théologique post-pascale de ceux et de celles qui ont cru à la nouveauté de Pâques et qui ont reconnu dans cet homme de Nazareth, non seulement un prophète de Dieu, mais aussi un Messie, un Christ, un Seigneur, un Sauveur. Il a fallu du temps aux premiers chrétiens pour comprendre le message pascal et pour réaliser qu’ils sont eux-mêmes présence du Ressuscité au sein de leurs communautés respectives. Et, celui qui parle dans l’évangile de Jean, c’est le Christ ressuscité, à travers l’évangéliste, qui s’adresse d’abord à sa communauté, mais aussi à nous aujourd’hui, qui relisons son évangile et ce discours sur le Pain de Vie.

2. À qui parle-t-il? L’évangéliste Jean s’adresse à des lecteurs chrétiens qui ont l’expérience de l’Eucharistie, et qui, à cause de la routine, ont besoin de s’entendre rappeler qui ils rencontrent dans ce sacrement. Ces lecteurs chrétiens qui composent sa communauté sont issus du monde juif et du monde païen et sont influencés par des courants gnostiques qui avaient développé une aversion pour les réalités matérielles ou charnelles et qui enseignaient qu’il faut se dégager de la matière pour atteindre Dieu qui est source de lumière et de vie, et obtenir ainsi son salut par la connaissance de la vérité.

Dans cette partie du discours qu’on a aujourd’hui, saint Jean compare ses auditeurs aux Hébreux du désert qui se révoltaient contre les envoyés de Dieu et, à travers eux, contre Dieu lui-même (Ex 16,2). La contestation que Jean attribue aux Juifs, non pas le peuple juif mais bien ceux qui refusent le Christ, ne porte pas sur le fait que Jésus propose le pain véritable qui nourrit spirituellement. Elle bute sur l’origine divine du Christ, alors que tout le monde connaît l’origine humaine de Jésus de Nazareth : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors, comment peut-il dire : Je suis descendu du ciel? » (Jn 6,42). Voilà le problème des chrétiens du 1er siècle et même des chrétiens d’aujourd’hui…Que devons-nous comprendre?

3. De quoi parle-t-il? « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel » (Jn 6,41). Qu’est-ce que cela veut dire? C’est évident qu’au temps de l’évangéliste Jean, les premiers chrétiens croyaient que Jésus était Fils de Dieu et qu’il est devenu Christ et Seigneur à Pâques. Par ailleurs, ce n’est pas en niant son humanité et la nôtre qu’on peut l’atteindre et lui ressembler. Au contraire, c’est par son humanité que Jésus nous rejoint et c’est par sa divinité qu’il nous ressuscite, qu’il nous donne sa vie, qu’il nous divinise nous aussi. Le prêtre français André Sève écrit : « Le texte d’aujourd’hui nous appelle à un choix très personnel. Si Jésus n’est pour nous qu’un personnage céleste il nous est trop étranger. S’il n’est qu’un homme ordinaire pourquoi lui livrerions-nous notre vie? Il faut que nous arrivions à tenir ensemble ces deux vérités : tu es un homme comme moi, né sur la terre, mais comme tu es descendu du ciel tu me dis Dieu et tu m’emmènes vers Dieu. Voilà pourquoi ça vaut la peine de te suivre ».

Il faut donc toujours garder l’équilibre entre les deux : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51). La chair du Christ, c’est son humanité dans toute sa fragilité. Y communier, c’est d’abord participer à son humanité, en assumant la nôtre jusqu’au bout et en la partageant avec les autres pour accéder à sa divinité. Voilà le pain vivant qui descend du ciel et qui nous transforme pour nous faire monter au ciel : « Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas » (Jn 6,49-50). Mais attention! Manger le pain de vie ne se réduit pas à manger une hostie! C’est manger le Christ, nous nourrir de lui, nous laisser transformer par lui, pour devenir Christ à notre tour. Et ça ne se fait pas tout seul, mais avec les autres. L’exégète québécois André Myre, dans un petit livre savoureux : Ciel! Où allons-nous? Éditions Paulines, 1991, nous montre que le salut, la résurrection n’est pas un acte individuel, mais collectif, communautaire. Il écrit : « C’est pourquoi il est significatif que la résurrection soit une réalité collective. Le corps ressuscité que l’on espère n’est pas d’abord le corps individuel, dans sa matérialité; c’est le corps qui communique, le corps en lien avec la nature, le corps qui parle, le corps qui aime, le corps qui prie. Le corps résume l’humanité et le cosmos. C’est le corps de l’humanité qui ressuscitera. C’est pourquoi la résurrection d’un seul, coupé des autres, est impensable ». Nous sommes donc responsables les uns des autres : « Je contribue au salut des autres et eux au mien ».

C’est ce qui caractérise l’Homme nouveau qu’on retrouve dans la lettre aux Éphésiens dont on a un autre extrait aujourd’hui. Il nous faut nous dépouiller du vieil Homme, de l’Homme ancien : « Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté » (Ép 4,31). Il nous faut revêtir l’Homme nouveau : « Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns les autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Ép 4,32). Dans le Notre-Père, n’est-ce pas ce que nous disons, lorsque nous exprimons ce renvoi mutuel entre le pardon de Dieu et le nôtre? Nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu au même titre que Jésus Christ…rien de moins!

En terminant, il peut nous arriver à nous aussi de croire que la puissance de Dieu s’exprime dans la violence et dans les événements extraordinaires de la vie. C’est un peu l’expérience du prophète Élie, qui est en guerre contre la reine Jézabel et les prophètes de Baal. Très tôt, Élie se rend compte qu’il s’est trompé sur Dieu. Croyant que Dieu l’a abandonné, il est découragé et veut mourir : « Il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : Maintenant, Seigneur, c’en est trop! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères » (1 R 19,4). Par ailleurs, Dieu lui réserve une surprise. Mais pour qu’Élie puisse en bénéficier, il lui faut se convertir, c’est-à-dire marcher pendant 40 jours et 40 nuits, jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu, et c’est là que le prophète va prendre conscience que Dieu ne se manifeste pas dans la tempête et l’ouragan, mais bien plutôt dans la douceur de la brise légère (1 R 19,12). Quel beau texte pour nous parler de la grande discrétion de notre Dieu! Il ne demande qu’à se faire rencontrer, mais pour y parvenir, soyons attentifs aux brises légères qui sont toujours dans les petites choses de la vie.

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette