vendredi 21 août 2009

ORDINAIRE 21 (B)

Réf. Bibliques : 2è lecture : Ép 5,21-32

Évangile : Jn 6,60-69

Nous avons aujourd’hui la conclusion du discours sur le Pain de Vie, dans l’évangile de Jean. Ce qui est particulier, à la fin de ce discours, c’est qu’on assiste, non seulement à l’opposition des Juifs, c’est-à-dire ceux qui ne croient pas au Christ, mais aussi à l’opposition des disciples eux-mêmes qui refusent de tels propos sur la chair à manger et le sang à boire : « Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, s’écrièrent : Ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter! » (Jn 6,60). Ce qui veut dire que déjà, chez les premiers chrétiens, dans la communauté de saint Jean à tout le moins, il n’y avait pas unanimité sur le contenu de la foi au Christ ressuscité. Ce n’est pas pour rien, comme je le disais la semaine passée, qu’il y avait des adeptes du docétisme, cette doctrine combattue par l’évangéliste, qui enseignait que le Christ avait fait semblant d’être un homme puisqu’il était Fils de Dieu. Alors, les questions qu’on se pose aujourd’hui sont les suivantes : Que refusent les disciples exactement? Où en sommes-nous maintenant dans notre foi au Christ?

1. Le refus des disciples : L’évangéliste Jean vient de faire dire à Jésus : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). Ce qui veut dire que c’est par son humanité assumée jusqu’au bout que Jésus est devenu Christ, Seigneur, Fils de Dieu, et que c’est en vivant de sa vie, en adoptant ses comportements et ses valeurs…bref, en assumant notre propre humanité à nous, que nous pouvons espérer ressusciter comme lui et devenir nous aussi des fils et des filles de Dieu, des Christs ressuscités. De tels propos passent difficilement…Pourquoi? Tout simplement, parce qu’il est difficile d’admettre et de croire que notre Dieu ne peut se dire autrement qu’à travers notre humanité dans toute sa fragilité et sa finitude. C’est ce qui a fait dire au pape actuel Benoît XVI, dans son livre sur Jésus : « N’aurait-il pas été plus facile de nous élever au-dessus des contingences de ce monde pour percevoir dans une paisible contemplation le mystère ineffable? »

Mais ce n’est pas là la foi chrétienne. Dieu s’est fait rencontrer à travers un homme, Jésus de Nazareth, à une époque et à un moment précis de l’histoire : « Ce qui paraît d’abord être la révélation la plus radicale devient en même temps facteur d’obscurité extrême. Dieu s’est tellement rapproché de nous qu’il semble cesser d’être Dieu pour nous ». Cependant, j’ajouterais : C’est ce qui fait la richesse de notre foi, la grandeur, la beauté et la dignité des disciples du Christ, dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils sont appelés à devenir. Malheureusement, de tous temps, les hommes et les femmes ont eu de la difficulté à s’assumer dans leur humanité, d’où le refus de croire en l’humanité du Christ : « À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui » (Jn 6,66).

2. Les disciples d’aujourd’hui : Où en sommes-nous aujourd’hui? Qu’en est-il de notre foi chrétienne? Il y a bien sûr, de nos jours, toutes ces femmes et ces hommes, et ils sont nombreux, qui ne croient pas au Christ, ni même en un Dieu…Ceux-là ont leurs raisons et doivent être respectés. Mais les autres, celles et ceux qui y croient, comment se situent-ils par rapport à ce discours de saint Jean sur le Pain de Vie? En regardant notre Église, j’ai l’impression parfois que les chrétiens d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, éprouvent des difficultés à accepter de vivre leur humanité et à croire que c’est par elle que Dieu peut encore se dire et s’exprimer aujourd’hui.

C’est pourtant ce que Jésus de Nazareth est venu nous apprendre…mais on préfère le contempler comme Christ ressuscité, glorifié, Seigneur de gloire, enfermé dans les tabernacles de nos églises ou exposé sur l’autel dans un ostensoir doré, plutôt que de le voir marcher sur la route, manger avec les pécheurs, relever les prostituées, accueillir les exclus, guérir les blessés de la vie, pardonner et aimer inconditionnellement. On a tellement de misère à le regarder tel qu’il a été dans son humanité : un révolutionnaire, un réformateur, un libérateur, qu’on a créé une institution religieuse qui ressemble bien plus à la religion légaliste de l’Ancien Testament qu’à l’Église des commencements. Quand la doctrine se fige dans le ciment et qu’elle ne répond plus à la réalité humaine contemporaine, et quand la règle et la discipline prennent le dessus sur la personne humaine qu’elles sont censées servir et que les dirigeants de notre Église s’obstinent à ne pas adapter aux réalités nouvelles, on peut vraiment dire que nous refusons aujourd’hui de manger la chair et de boire le sang de celui qu’on prétend être ses disciples et qu’on dit vouloir continuer à suivre.

En 2è lecture aujourd’hui, on a un bel exemple d’un texte biblique qu’il nous faut relire à la lumière de notre réalité contemporaine. Pour se faire, il nous faut situer le texte dans son contexte historique, le réinterpréter et l’actualiser, si on veut demeurer fidèle à son auteur qu’on appelle Paul et si on veut faire naître une Parole de Dieu aujourd’hui. Au temps de saint Paul, la femme était la propriété de son mari, presque son esclave; elle n’avait aucun droit. Lorsque Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, fait le parallèle de la relation homme/femme pour parler de la relation Christ/Église, il utilise l’image du couple de son époque. Par ailleurs, on peut vraiment dire qu’il était avant-gardiste, puisqu’il demande aux hommes de son temps d’aimer leur femme, ce qui n’était pas coutumier à son époque, et de se mettre à leur service, comme le Christ le fait pour son Église : « Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle » (Ép 5,25).

Mais aujourd’hui, de tels propos sont inacceptables. Par souci de fidélité à saint Paul, il faut inviter l’Église à reconnaître l’égalité homme/femme, ce qu’elle ne reconnaît toujours pas, 2,000 ans après saint Paul. J’ai le goût de dire : Dépêchons-nous! Si on veut faire naître une Parole neuve de Dieu qui corresponde à notre réalité humaine et qui respecte l’esprit de la lettre aux Éphésiens. Malheureusement, certains liront ce texte biblique, de façon littérale, sans plus, au risque de choquer une partie de l’assistance. Et d’autres, le laisseront tomber, au lieu d’en faire découvrir sa nouveauté et l’interpellation que son auteur suggère à l’Église de notre temps.

En terminant, la question posée aux Douze dans l’évangile d’aujourd’hui : « Voulez-vous partir, vous aussi? » (Jn 6,67), à laquelle Simon-Pierre répondit : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68), c’est à nous qu’elle est posée maintenant. Et ce n’est pas tout d’y répondre par une phrase qui ressemblerait à celle de Pierre…Accepter de poursuivre la route avec Christ, c’est manger sa chair et boire son sang, c’est-à-dire assumer notre humanité jusqu’au bout, en nous inspirant de la sienne, et nous laisser transformer par ce que Jésus à été dans sa vie humaine pour devenir ce qu’il est devenu à Pâques : Christ, Seigneur, Fils de Dieu.

Bonne réflexion! Raymond Gravel ptre

Bonne Homélie! Diocèse de Joliette.