vendredi 31 juillet 2009

ORDINAIRE 18 (B)

1ère lecture : Ex 16,2-4.12-15

2è lecture : Ép 4,17.20-24

Évangile : Jn 6,24-35

Après avoir lu, dimanche dernier, le récit de la multiplication des pains ou plutôt le récit du don et du partage du pain, selon saint Jean, nous commençons aujourd’hui, pour 3 dimanches consécutifs, le discours sur le Pain de Vie. Ce discours veut d’abord nous faire passer de la faim matérielle à la faim spirituelle : du pain qui apaise la faim du ventre au vrai Pain qui apaise toutes les faims…Et ce Pain de Vie, c’est le Christ lui-même. On peut donc voir que ce discours, dans l’évangile de Jean, est le fruit d’une longue réflexion chrétienne sur l’Eucharistie qui est composée de la Parole proclamée et du Pain de Vie partagée. Mais quels messages pouvons-nous tirer de cette première partie du discours de Jean 6?

1. Les faims du monde : Il y a bien sûr la faim matérielle, la faim élémentaire de pain, de nourriture dont tout le monde a besoin, mais dont 1 personne sur 10 dans le monde en est privée. Selon les dernières statistiques de l’ONU, 6 milliards d’êtres humains, dans le monde, souffrent de la faim. C’est scandaleux! Lorsqu’on sait tout le gaspillage qui se fait par ceux-là même qui possèdent la richesse et la capacité de nourrir les autres. Malheureusement, nous faisons partie de ceux-là. Et pourtant, cette faim-là doit être apaisée avant même de parler d’autres faims. Et pourquoi? Il y a un dicton qui dit : Ventre affamé n’a pas d’oreille. Quand on a faim physiquement, on ne peut ressentir les autres faims.

Par ailleurs, il nous faut définir les autres faims. Peut-être que celles-ci pourront nous faire prendre conscience de ce que nous possédons et nous inciter davantage à partager et à nourrir ceux qui ont faim. Les faims de liberté, de tendresse, de dignité, de pardon, de justice, d’amour, de paix et d’espérance sont des faims humaines qu’il nous faut combler pour pouvoir continuer à vivre, à aimer et à être aimé. Mais toutes ces faims ne peuvent être apaisées, nourries, qu’au prix de nombreux sacrifices et de souffrances de toutes sortes qui s’expriment par l’image du désert, autant dans l’Ancien Testament que dans l’Évangile. Le théologien français Michel Hubaut écrit : « Qui d’entre nous, quel peuple, quelle église, ne doit-il pas, un jour ou l’autre de son histoire, faire l’expérience de la traversée du désert, y découvrir sa radicale pauvreté afin d’être disponible aux dons de Dieu! Traversées du désert plus ou moins dramatiques : une épreuve morale ou de santé, une période de doute, d’aridité, de rupture, une impression de tourner en rond… ».

2. Les déserts : Les déserts ne sont jamais faciles à traverser et à vivre. On peut même refuser d’y entrer, même si on sait qu’ils sont nécessaires pour découvrir et comprendre les faims et y trouver la nourriture dont on a besoin pour combler ses faims. Dans l’extrait du livre de l’Exode que nous avons aujourd’hui, le peuple d’Israël, à peine sorti de l’esclavage de l’Égypte, regrette le bon vieux temps de servitude : « Ah! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé! » (Ex 16,3). La liberté est une aspiration et une faim, mais aussi un désert et une épreuve, où l’on doit apprendre à s’entraider et à partager. L’image de la manne (pain) et des cailles (poissons) qu’on ne peut accumuler, n’est-ce pas un apprentissage à vivre ensemble, à se préoccuper des autres et à se solidariser avec eux? Ce pain et ces poissons repris dans les évangiles font de la foule anonyme un peuple de frères et de sœurs (cf. l’évangile de dimanche passé).

Selon l’auteur de la lettre aux Éphésiens, les chrétiens gardent eux aussi la nostalgie de leur existence passée, ce que Paul appelle l’homme ancien, où c’était le chacun pour soi d’une société dont profitaient ceux qui en avaient les moyens et qui ignoraient les laissés pour compte. Ce n’est pas de cette façon que doivent vivre les chrétiens : « Lorsque vous êtes devenus disciples du Christ, ce n’est pas cela que vous avez appris » (Ép 4,20). Mais qu’ont-ils appris ces chrétiens d’Éphèse? Au verset 24, la traduction liturgique est mauvaise. Au lieu de lire : « Adoptez le comportement de l’homme nouveau… », on devrait lire : « Revêtez l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité » (Ép 4,24). Revêtir comme on revêt un vêtement, ça fait référence au baptême chrétien qui dit notre appartenance au Christ de Pâques et qui nous invite à partager avec celui qui est dans le besoin (Ép 4,28).

Et dans l’évangile de Jean, si la foule court après Jésus, ce n’est pas d’abord parce qu’elle a réalisé qu’elle avait faim du Christ ressuscité, mais bien parce qu’elle a profité du don et du partage du pain : « Jésus dit : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés » (Jn 6,26). Il faut donc à cette foule qui veut suivre le Christ, apprendre à devenir un peuple de frères et de sœurs qui s’entraident et qui partagent le Pain de Vie qu’est le Christ lui-même. Ce pain-là apaise toutes les faims et étanche toutes les soifs : « Jésus leur répondit : Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jn 6,35). Mais attention! Il faudra d’abord à tous ces gens, traverser leur désert. C’est le prix de la liberté; c’est le prix de l’amour.

En terminant, je voudrais vous partager cette belle réflexion de Michel Hubaut : « La grandeur de l’homme est d’être un marcheur qui doit progresser de campement en campement pour prendre conscience de sa faim d’Absolu. On choisit rarement son désert! Il est différent pour chacun. Mais, tôt ou tard, il faut bien le traverser! Véritable école où j’apprends à vivre, à penser, à prier sans trop m’encombrer de provisions accumulées pour accueillir la manne, le don quotidien du Seigneur. Dépouillé de toutes mes réponses pieuses, superficielles, de mes anciennes sécurités, je dois creuser mes faims pour accueillir humblement le petit morceau de pain, le petit morceau d’Évangile, la petite Parole de vie qui m’empêchera de mourir ou de désespérer dans mon désert. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim! »

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette