1ère lecture : Éz 2,2-5
2ème lecture : 2 Co 12,7-10
Évangile : Mc 6,1-6
Aujourd’hui, en ce dimanche d’été, les 3 lectures bibliques qui nous sont proposées nous parlent de vocation, de mission, de présence toute discrète de Dieu à travers ses prophètes, qui sont, plus souvent qu’autrement, jugés sévèrement, condamnés, rejetés et exclus. Dans son Prologue, saint Jean ne dit-il pas, en parlant du Christ, le Verbe de Dieu : « Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1,11). Voilà le drame de l’Alliance entre Dieu et les hommes, parce que l’Alliance est rencontre, acceptation, ouverture à l’autre, transformation, nouveauté, et cette alliance ne peut s’exprimer qu’à travers les prophètes qui ne tombent jamais du ciel, mais qui naissent toujours d’en bas, dans l’épaisseur de l’histoire humaine. C’est pourquoi, il est si difficile de les reconnaître et de les écouter. À partir de ces 3 prophètes présentés dans les 3 courts extraits bibliques que nous lisons aujourd’hui, Ézéchiel, Paul et Jésus de Nazareth, quels messages pouvons-nous en tirer pour les prophètes d’aujourd’hui?
Le prophète : un humain ordinaire : Dans les 3 lectures aujourd’hui, on se rend compte que les prophètes sont d’abord et avant tout des humains très ordinaires, avec leur fragilité et leurs limites. Ézéchiel, un prêtre qui vécut au temps de Nabuchodonosor et de l’Exil à Babylone (598-587 av. J.-C.), est un prophète déconcertant, au génie varié et complexe. Il est comme les Israélites de son temps, écrasés par la défaite, désespérés et déportés à Babylone. C’est à genoux qu’il prend conscience que Dieu accompagne son peuple dans la détresse et qu’il a besoin de lui pour exprimer sa présence : « L’esprit vint en moi, il me fit mettre debout, et j’entendis le Seigneur qui me parlait ainsi : » (Éz 2,2).
Il en est de même de Paul qui écrit sa 2è lettre aux Corinthiens « le cœur serré et dans les larmes » (2 Co 2,4). Paul prend conscience de sa petitesse humaine face à la grandeur de la mission à laquelle il se sent appelé : « Les révélations que j’ai reçues sont tellement exceptionnelles que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai dans ma chair une écharde (en grec : skolops), un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour m’empêcher de me surestimer » (2 Co 12,7). S’agit-il d’un handicap physique, d’une maladie chronique ou bien de ses adversaires missionnaires éloquents et autoritaires qu’il a traités précédemment de « serviteurs de Satan » (2 Co 11, 13-15). Une chose est certaine : Paul est très humain et il l’expérimente dans sa chair : en grec : sarkos, qui désigne la fragilité de l’existence humaine.
Jésus de Nazareth n’est-il pas lui aussi un homme tout à fait ordinaire? De sorte que même sa famille le croit dérangé : « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : Il a perdu la tête » (Mc 3,21). Et dans l’extrait que nous avons aujourd’hui, l’évangéliste Marc, reprenant ce que les gens de son village disait de lui, écrit : « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous? » (Mc 6,3a). Écrire que Jésus est le charpentier, fils de Marie, ça peut vouloir dire 2 choses : 1) soit que son père, Joseph, est décédé…sinon, Marc aurait écrit que Jésus était fils du charpentier. 2) soit qu’il s’agit d’une famille à la réputation douteuse, car à l’époque, on ne disait jamais de quelqu’un qu’il était le fils de sa mère. Une chose est certaine : Jésus de Nazareth a été un homme tout à fait ordinaire, dans un milieu très ordinaire, un village obscur qui a fait dire à l’évangéliste Jean : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon? » (Jn 1,46a).
Le prophète dérange : Un prophète porte toujours une parole qui dérange. Il est celui qui dénonce les situations d’injustice, qui remet en question, qui interpelle et qui invite au changement, à la nouveauté. Nous sommes tous et toutes réfractaires aux changements. On s’enlise facilement dans ses vieilles habitudes et on justifie sa passivité en s’appuyant sur des doctrines et des règles dont on décrète qu’elles sont la Vérité. Et pourtant, il n’y a pas de vérités toutes faites, absolues, inchangeables…et pour nous rappeler cette réalité, Dieu doit nécessairement passer par des hommes et des femmes comme nous, d’où le refus, le rejet et la condamnation des prophètes. Le théologien Michel Hubaut écrit : « Si Dieu avait voulu prendre l’homme à rebrousse-poil comme on dit, il ne pouvait pas mieux trouver que l’Incarnation! Car s’il y a une constante dans l’histoire de la révélation judéo-chrétienne c’est bien la propension de l’homme à vouloir rencontrer Dieu dans des manifestations extraordinaires, miraculeuses, à confondre surnaturel et merveilleux. Discerner l’action de Dieu dans la trame ordinaire de l’existence humaine est un long apprentissage. Au fil de l’histoire, on s’aperçoit que Dieu préfère les théophanies du quotidien aux théophanies à grand spectacle. Et la plus grande, celle de la venue parmi nous de son propre Fils Jésus, sera d’une telle discrétion! Un enfant nouveau-né, un charpentier, un crucifié! On ne peut pas dire que ce Messie flatte l’attente spontanée des foules ».
Par ailleurs, tous les prophètes le savent : la Parole, la Bonne Nouvelle qu’ils ont à annoncer sera automatiquement mal reçue. La nouveauté perturbe, dérange. Elle empêche de ronronner. La nouveauté suscite la perplexité, le rejet. Le prophète Ézéchiel l’a expérimenté : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ce peuple de rebelles qui s’est révolté contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné » (Éz 2,3-4a). Saint Paul l’exprime aussi de belle façon : « C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10). Et l’évangile de Marc fait dire à Jésus ce dicton célèbre : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison » (Mc 6,4), car il faut bien le reconnaître, certains jours, l’humanité de Dieu nous choque. On préférerait un Dieu autoritaire, tout-puissant qui impose ses récompenses et ses punitions…Heureusement, ce Dieu n’existe pas!
Le vrai prophète : Comment discerner le vrai du faux prophète? Il faut être prudent et attentif aux signes des temps. Malheureusement, dans l’Église actuelle, certains croient qu’ils sont de véritables prophètes à cause de l’impopularité de l’institution et des critiques qu’ils subissent à cause de leur intransigeance, de leur sévérité et des propos qu’ils tiennent. Mais attention! Le fait d’être critiqué ou rejeté ou encore de laisser indifférents les gens qui m’entourent, ne fait pas de moi, automatiquement, un vrai prophète. La parole que je porte doit être une Bonne Nouvelle, une Parole qui libère, qui sauve et qui fait espérer. Et c’est pourquoi, les vrais prophètes ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Ils sont rarement soutenus et appuyés par les institutions, même l’Église…car l’Église, elle aussi, n’aime pas le dérangement, le changement, la nouveauté, et ses prophètes sont souvent suspectés. Le théologien Hyacinthe Vulliez écrit : « Quand on veut se débarrasser d’un prophète, on a coutume de le traiter d’anormal, d’atypique et enfin d’étranger, ce qui permet de l’éloigner et même de le tuer. On n’aime pas celui qui tient un discours autre que le discours convenu, il dérange, il fait sortir du ronron habituel, et ça, on n’aime pas! On préfère se parler à soi-même, on aime tellement la tranquillité de l’entre-nous. Aujourd’hui, pas moins qu’autrefois, on tue les prophètes, mais autrement qu’en les faisant mourir à coups de bâton ou sous les jets de pierres, autrement qu’en les suspendant à des croix. Autrement! En jetant sur eux le discrédit par la calomnie, en leur attribuant généreusement les qualificatifs les plus dépréciatifs, en chloroformant ou en droguant les foules par des propos de langue de bois, en refusant de reconnaître la nouveauté de leurs paroles : On sait bien ce qu’il va dire! On reste ainsi dans sa bulle, refusant de quitter la béatitude de l’autosatisfaction. Comme les Nazaréens! Pour ne pas devoir écouter la Parole du prophète Jésus, ils faisaient eux-mêmes les questions et les réponses ».
En terminant, le verset qui dit : « Et là, Jésus ne pouvait accomplir aucun miracle… » (Mc 6,5a), risque de surprendre. Nous avons là la preuve qu’un miracle n’est pas un prodige qui bouleverse les lois de la nature, mais qu’il s’agit bien d’un signe qui dit la proximité de celui qui le fait avec celui qui le voit. Ce qui signifie que pour que le miracle, le signe puisse se réaliser, il faut une inter/relation, une foi/confiance entre celui qui le donne et celui qui le reçoit; sinon, ni la Parole, ni le signe ne peuvent produire leurs fruits. Si c’était vrai au temps de Jésus, ça l’est encore pour nous aujourd’hui…
Bonne réflexion!
Bonne Homélie!
Raymond Gravel ptre