1ère lecture : Am 7,12-15
2è lecture : Ép 1,3-14
Évangile : Mc 6,7-13
Après avoir parlé de prophétisme, la semaine passée, les textes bibliques d’aujourd’hui nous parlent de responsabilité, de mission, d’apôtres. En lisant l’évangile de ce dimanche, on peut se demander qui sont ces Douze, ces apôtres que le Christ envoie en mission? S’agit-il seulement de ces 12 hommes identifiés par Marc en 3,13-19? Si tel est le cas, pourquoi Luc, qui fait une relecture de Marc, applique-t-il à 72 disciples la même mission (cf. Lc 10,1-11)? Ce qui a fait dire au théologien Gérard Sindt : « Marc insiste particulièrement sur ce chiffre douze qui signifie l’idée de la totalité du pays et de l’Église ». Ce qui veut dire que la mission d’apôtres concerne tous les croyants, tous les disciples du Christ. Mais quelle est cette mission?
Partir : « Ils partirent » (Mc 6,12a). Lorsqu’on se dit croyant, lorsqu’on se sait appelé par le Christ, la première chose à faire, c’est de partir, se mettre en marche pour faire, pour dire, pour agir. La lettre aux Éphésiens écrite par un disciple de Paul affirme solennellement que la vocation et la mission chrétienne ne sont pas l’affaire de quelques-uns : « Dans le Christ, Dieu nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard. Il nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ » (Ép 1,4-5a). Ce qui veut dire que nous sommes tous appelés à partir en mission. Mais attention! L’auteur de la lettre aux Éphésiens ne dit pas que tout est prévu et fixé d’avance dans une sorte de plan de Dieu qui atténuerait notre responsabilité humaine de croyant. Au contraire, ceci engage notre liberté responsable comme croyant pour répondre à l’appel qui nous est fait.
Et lorsqu’on accepte de partir en mission, le chemin n’est pas tracé d’avance; il est à faire. L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Jésus envoie les Douze. Cet envoi est une dépossession. Ce n’est pas un envoi à la conquête. Ce n’est pas une campagne électorale. C’est un départ de pèlerin qui n’a pas besoin d’emporter de gros bagages pour la route puisqu’il ne met sa confiance qu’en Dieu. Tout le reste lui est inutile. Il s’agit d’une mise en marche, d’un départ sur la route. Le pèlerin n’a pas d’autre demeure que la route. Il habite la marche. Même l’hospitalité, la halte ou l’étape ne doivent pas arrêter le pèlerin. L’évangile n’est pas une idéologie, c’est l’ouverture d’un chemin ».
En 1ère lecture aujourd’hui, le prophète Amos a dû partir lui aussi. Originaire de Téqoa près de Bethléem, dans le Royaume de Juda (sud), Amos reçoit la mission de prêcher dans le Royaume du nord : « Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël » (Am 7,15).
Dénoncer : En route, sur le chemin de la mission, le prophète, l’envoyé, l’apôtre doit dénoncer ce qui est contraire à la Justice, la première valeur de toute la Bible. Mais dénoncer quoi? Le prophète Amos, pour sa part, dénonce la distance qu’il y a entre le discours des croyants en Dieu et leurs actions : « Vous faussez vos poids et truquez vos balances » (Am 8,5), « vous achetez les faibles à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales » (Am 8,6). Le prophète est déconcerté par l’irresponsabilité des dirigeants du peuple : « Vous vous vautrez sur vos divans, vous buvez à même les amphores et vous mangez les meilleurs agneaux du troupeau, mais vous oubliez le peuple » (Am 6,4). Selon lui, ce que Dieu veut, c’est la Justice pour tous, et c’est pourquoi, il ne peut supporter le faste, le nombrilisme et la suffisance de certains : « Vos célébrations m’exaspèrent, vos chants me cassent les oreilles » (Am 5,21-23).
Jésus a dénoncé lui aussi l’arrogance des pharisiens et des scribes de son temps. Il traite les pharisiens d’hypocrites sur l’application du commandement de Dieu à l’égard des parents : « Vous dites : si quelqu’un dit à son père ou à sa mère : le secours que tu devais recevoir de moi est qorban, c’est-à-dire offrande sacrée…vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère : vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez » (Mc 7,11-13). Et, au sujet des scribes, il dit : « Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners. Eux qui dévorent les biens des veuves et font pour l’apparence de longues prières, il subiront la plus rigoureuse condamnation » (Mc 12,38-40).
Si on utilisait l’évangile de Matthieu, les dénonciations à l’endroit des prêtres et des pharisiens sont encore beaucoup plus virulentes que chez Marc. Même saint Paul, dans ses lettres, dénoncent lui aussi l’attitude de certains Juifs devenus chrétiens par rapport aux autres chrétiens issus du monde païen : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 3,27-28).
Libérer : La mission des croyants et des chrétiens de tous les temps est une mission de libération : « Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient » (Mc 6,13). Mais que veut dire : chasser les démons et guérir les malades? Comme le dit bien Léon Paillot : « Dans la mentalité antique, tout ce qui arrivait de mal, que ce soit une maladie ou un quelconque malheur, était attribué à des puissances mystérieuses, esprits mauvais, démons, sorts jetés à quelqu’un ». Ce qui veut dire que la libération consiste à soulager la misère des uns et à restaurer la dignité de tous ceux et celles qu’on exclut et qu’on marginalise. Comme l’esprit de domination, de possessivité, d’exploitation, de vengeance et de mépris existe toujours de nos jours, il nous faut guérir ceux et celles qui en sont victimes. Et les responsables de ces esprits mauvais se retrouvent autant dans l’Église que dans la société, d’où le rejet des missionnaires de l’Évangile.
Amos a été chassé par un prêtre, le prêtre de Béthel : « Va-t’en d’ici avec tes visions, enfuis-toi au pays de Juda; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume » (Am 7,12-13). L’apôtre Paul n’a-t-il pas rencontré pareil obstacle sur la route de sa mission? Et Jésus n’a-t-il pas été condamné, pour les mêmes raisons, par les prêtres de son temps? C’est pourquoi, la mission de libération d’aujourd’hui comme celle d’hier ne peut se faire sans heurt. Ce que dit le Ps 84 de ce jour : « Amour et vérité se rencontrent, Justice et paix s’embrassent », ce n’est pas de tout repos. Faire dialoguer l’amour et la vérité, faire communier la Justice et la paix, occasionne à tous les missionnaires de ce monde beaucoup de souffrances et de rejets
En terminant, je voudrais simplement vous partager ce beau commentaire de Brigitte Cantineau qui écrit : « Qui ne rêve de Justice et de paix? Mais quel poids de souffrance cela porte-t-il? Quel appel au secours…mais quel signe d’alliance? Dieu donne son amour et sa justice. Paix et vérité sont les fruits que la terre porte en réponse aux bienfaits de Dieu. Chacun est appelé à découvrir la justice de Dieu pour vivre pleinement la justice humaine et à recevoir la Paix de Dieu pour réaliser un monde de fraternité. Cela se fait dans la confiance et sans aucun bagage si ce n’est le strict nécessaire pour aller plus loin. Cela ne signifie pas que l’on part vide, mais que l’on prend la route empli de son message et de ce qu’il faut pour que la Parole de Dieu parvienne à chacune et chacun de ses destinataires. Il est urgent que ce message parvienne. Car la paix, l’amour, la justice et la vérité ne sont pas pour demain. Aujourd’hui Dieu nous les donne. Aujourd’hui est donc différent. Il ne peut ressembler à hier. Il ne peut se terminer avec moins qu’hier. Il ne faut pas attendre. Mais il ne faut pas croire en ses propres forces. Il faut être au moins deux. C’est dans le dialogue, le partage, le pardon et la communion que se révèle la Parole de Dieu ».
Bonne réflexion!
Bonne Homélie!
Raymond Gravel ptre
Diocèse de Joliette