1ère lecture : Nb 11,25-29
2è lecture : Jc 5,1-6
Évangile : Mc 9,38-43.45.47-48
Dimanche passé, on était invité à accueillir le petit, le faible, le pauvre, l’enfant, et à se faire serviteur de tous. Aujourd’hui, nous sommes invités à ne pas exclure celui qui vit l’évangile et qui ne fait pas partie de notre groupe, de notre Église. Plus question de réserver Dieu à quelques-uns, à des élus, à des élites. Plus question de fixer Dieu à une religion, à un groupe, à un sacerdoce, à une Église. Plus question d’amasser de l’argent pendant que des pauvres sont dans la misère. Dès qu’on vient à l’évangile, dès qu’on devient disciple du Christ, l’Esprit crée du neuf, de la nouveauté, et rien ni personne ne peut l’en empêcher.
1. Suivre le Christ : Si on lit bien l’évangile de ce dimanche, on voit très bien qu’il n’y a pas qu’une seule voie, qu’un seul chemin, pour suivre le Christ. Évidemment, après la mort de Jésus, des groupes de disciples se sont formés, pour poursuivre l’enseignement du Christ, mais ces groupes, ces communautés chrétiennes des commencements n’étaient pas uniformes. Il y avait déjà de la diversité. Ce qui a créé des tensions, sans doute, puisqu’on s’imagine souvent que le groupe auquel on appartient possède la vérité et qu’en dehors de lui, il n’y a point de salut. N’est-ce pas l’attitude de Jean, l’un des Douze, dans l’évangile d’aujourd’hui? « Maître, nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent » (Mc 9,38). N’est-ce pas aussi l’attitude de notre Église qui a cru et qui croit encore être la seule véritable Église du Christ de Pâques? Et pourtant, la réponse du Christ de l’évangile de Marc est claire : « Ne l’empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi; celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9,39-40).
Dans le fond, la problématique soulevée par l’évangéliste Marc est la même aujourd’hui. La mission qui est confiée aux disciples consiste à suivre le Christ en servant les autres. Malheureusement, elle est vite devenue, pour l’Église primitive, de servir les disciples au lieu de servir le Christ. De sorte que, Jean, l’un des Douze, confond suivre Jésus et nous suivre (v. 38), comme si les autres devaient nous suivre au lieu de suivre le Christ. À écouter certains dirigeants de notre Église, la problématique persiste, car ils se croient propriétaires du Christ ressuscité et la mission ne consiste plus à suivre le Christ de l’évangile en servant les autres, mais bien à suivre les règles et les dogmes en servant l’Église.
L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Immédiatement, le groupe des Apôtres, par la bouche de Jean, réclame la propriété exclusive de Jésus. Ils veulent l’exclusivité des droits d’auteur sur les faits et gestes de Jésus. Ils prétendent être les seuls à pouvoir donner le label. Jésus, au contraire, leur annonce la dépossession. Vouloir prétendre enfermer l’évangile, c’est vouloir l’empêcher d’être l’évangile. L’Esprit de Dieu est libre. Personne ne pourra jamais l’obliger à suivre la voie hiérarchique. Le souci des Apôtres est d’exclure. Celui de Jésus est d’appeler et d’ouvrir ».
2. Accueillir l’autre : Suivre le Christ c’est donc accueillir l’autre, le différent de nous, l’étrange, l’étranger, qui sait reconnaître le Christ vivant à travers ses envoyés. Celui-là doit être accueilli et respecté même s’il n’a pas grand-chose à offrir : « Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense » (Mc 9,41). Son geste a valeur d’éternité. Dans notre monde, combien d’hommes et de femmes travaillent simplement à rendre le monde plus juste et plus fraternel, et même s’ils ne sont pas pratiquants de notre Église, ils tiennent à manifester leur attachement aux valeurs évangéliques. Ceux-là sont disciples du Christ à part entière.
3. Ne pas scandaliser l’autre : Selon la Bible, le scandale n’est pas un mauvais exemple, ni un fait révoltant. Étymologiquement, skandalon veut dire : un piège, un obstacle qu’on met sur la route de quelqu’un pour le faire tomber. Dans le Lévitique, par exemple, on interdit de mettre une pierre sur les pas d’un aveugle (Lv 19,14). Ici, dans l’évangile de Marc, le scandale est un obstacle qu’on met sur la route des petits qui croient au Christ, mais qui ne sont pas de notre groupe, de notre Église, donc, des étrangers, les autres. Les responsables de ces scandales sont jugés sévèrement : « Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer » (Mc 9,42).
Et là, Marc défilent les diverses parties du corps : la main, le pied et l’œil :
1) La main : Symbole du travail…La main devient scandale pour l’autre, lorsqu’on l’exploite et que l’on s’enrichit à ses dépens. En 2è lecture aujourd’hui, saint Jacques écrit : « Des travailleurs ont moissonné vos terres, et vous ne les avez pas payés; leur salaire crie vengeance, et les revendications des moissonneurs sont arrivées aux oreilles du Seigneur de l’univers » (Jc 5,4).
2) Le pied : Symbole de la marche, du déplacement…Le pied devient scandale lorsqu’il court après le mal et l’injustice. Encore une fois, saint Jacques nous dit : « Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe, et vous avez fait bombance pendant qu’on massacrait des gens. Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous résiste » (Jc 5,5-6).
3) L’œil : Symbole de communication…L’œil devient scandale lorsqu’on refuse de communiquer avec ceux qui sont différents de nous et qui ne font pas partie de notre groupe, de notre Église. On doit les regarder avec tendresse, amour et compassion.
Mais attention! Le feu de la géhenne n’est pas l’enfer tel qu’on le décrit dans une certaine tradition chrétienne; c’est une vallée au sud de Jérusalem où étaient brûlés les immondices de la ville, c’est-à-dire ce qui ne servait à rien. Donc, le message de Marc est de dire que ce que nous faisons avec ce que nous sommes doit nécessairement servir à quelque chose, plutôt que d’être jeté, faute d’utilité.
En terminant, en 1ère lecture aujourd’hui, nous avons un très beau texte qui confirme la position du Christ de l’évangile de Marc et qui veut nous montrer la grande liberté de Dieu qui donne son Esprit à qui sait l’accueillir vraiment. L’histoire raconte que Moïse est découragé de porter seul le peuple de Dieu et qu’il souhaite partager sa mission avec d’autres. Il rassemble donc 70 anciens dans la tente de la Rencontre pour célébrer l’événement. L’auteur du livre des Nombres écrit : « Le Seigneur descendit dans la nuée pour s’entretenir avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les soixante-dix anciens du peuple. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas » (Nb 11,25). Et pourtant, 2 hommes qui ne s’étaient pas présentés à la célébration, Eldad et Médad, ont, eux aussi reçu l’esprit et ils prophétisèrent comme Moïse. Josué est choqué et dit à Moïse : « Moïse, mon maître, arrête-les! » (Nb 11,28). Mais la réponse de Moïse est extraordinaire : « Serais-tu jaloux pour moi? Ah! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes! » (Nb 11,29)
Encore aujourd’hui, dans notre Église, si on pouvait avoir la même réponse que Moïse, sans se faire taxer de relativisme religieux…Peut-être que notre Église ne s’en porterait que mieux! Je vous laisse avec ce beau billet de Hyacinthe Vulliez : « Exclusivité, sectarisme! Les amis de Jésus ne tolèrent pas que cet individu fasse autant et aussi bien qu’eux. Lui? Il n’est pas des leurs. Rejet, refoulement…Les disciples ne se considèrent pas seulement propriétaires exclusifs du pouvoir divin mais même du savoir sur Jésus. Eux, gardiens sûrs, interprètes infaillibles du message de Jésus, à l’exclusion de tous les autres. Pourtant, et l’action de l’Esprit, et le pouvoir de chasser les démons, s’étendent bien au-delà des frontières visibles de l’Église, au-delà des centaines de millions de chrétiens de toutes confessions. Musulmans, juifs, hindous, tous ceux qui, croyants ou non, luttent pour la justice, la paix, la solidarité, chassent, eux aussi, les démons de la violence, de la haine, de l’oppression, des divisions raciales, des brisures sociales et des fractures idéologiques. Alors, vous direz peut-être : puisqu’ils agissent ainsi, ils sont des nôtres, chrétiens du seuil, chrétiens sans le savoir. C’est là indûment les récupérer, dans l’irrespect de l’Esprit et de l’homme. Autre manière de pratiquer l’exclusivité…Le souffle de l’Esprit? Oui vraiment, il est surprenant. Où il veut ».
Bonne réflexion!
Bonne Homélie!
Raymond Gravel ptre
Diocèse de Joliette