samedi 19 septembre 2009

ORDINAIRE 25 (B)

Réf. Bibliques : Évangile : Mc 9,30-37

Nous commençons aujourd’hui une série de 6 dimanches, dans l’évangile de Marc, ayant pour thème : Suivre le Christ, c’est prendre le chemin du petit, du pauvre, du serviteur. En ce dimanche, pour illustrer ce qu’il veut dire, l’évangéliste Marc utilise l’image d’un enfant, qui n’avait à l’époque aucun droit. L’enfant était le dernier dans l’ordre social. Mais quelle Parole de Dieu peut naître aujourd’hui? Quels messages peut-on retenir de l’évangile qui nous est proposé?

1. Un chemin de croix : Pour la 2è fois, dans l’évangile de Marc, le Christ nous rappelle que le chemin de croix fait partie de son itinéraire…Pourquoi? Tout simplement parce que être chrétiens, disciples du Christ, c’est emprunter un chemin qui bouscule nécessairement les grands, les bien pensants, c’est-à-dire ceux qui croient détenir la vérité sur Dieu et sur le monde, et qui ont la certitude d’être dans la vérité…Mais qui sont-ils ceux-là? On les retrouve un peu partout dans l’Église et dans la société :

1) Dans l’Église : Ce sont souvent des croyants, des spécialistes de la religion, qui savent eux ce que Dieu veut et ce qu’il ne veut pas. Ils sont souvent dogmatiques, ils imposent des règles et se donnent du pouvoir sur les autres, au nom de Dieu. Saint Marc, dans son évangile, y fait mention : « Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demandait : De quoi discutiez-vous en chemin? » (Mc 9,33). Marc, en peu de mots, décrit très bien la réalité de son temps. À la question du Christ, les disciples gardent le silence; un silence complice, lourd, coupable, un silence qui en dit long sur leur incompréhension de la mission chrétienne : « Ils se taisaient, car, sur la route, il avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand » (Mc 9,34). Encore aujourd’hui, dans notre Église, certains disciples, se croyant supérieurs aux autres, oublient le sens de leur mission. À ceux-là, la question du Christ de l’évangile est toujours pertinente : De quoi discutiez-vous en chemin? De pouvoir? D’autorité? De dogmes? De règlements? Ou bien de service? De miséricorde? De pardon? La réponse nous appartient…

2) Dans la société : Mais il y a aussi certains incroyants qui agissent de la même façon que les premiers. Ils se croient, eux aussi, détenteurs de la vérité. Ils fondent leur incroyance et définissent leur athéisme, à partir des frustrations de la religion de leur enfance. Ils crient haut et fort leur certitude de l’inexistence de Dieu et ils sont convaincus que la foi n’appartient qu’aux naïfs et qu’à ceux qui ont peur de l’enfer ou tout simplement de la mort. Dans un livre qui vient de paraître aux édition VLB, sous la direction de Daniel Baril et Normand Baillargeon, 14 témoignages d’autant de personnes, qui crachent littéralement sur tout ce qui est religieux et qui le font avec mépris, condescendance et arrogance. Un prêtre de mon diocèse, Pierre-Gervais Majeau, qui a lu un de ces témoignages, celui de Louise Gendron, m’a écrit : « Le texte de Louise Gendron nous rappelle un tas d’ambiguïtés non assumées : les bondieuseries, les grandeurs et misères des systèmes religieux, les frustrations non assumées du catholicisme québécois d’hier et d’aujourd’hui. Ce qui me désarme en lisant ce texte, c’est l’extrême vulnérabilité de l’athée qui se fait athée d’une religion lâchée comme un vêtement d’enfant devenu trop serré. À quand un athéisme vraiment mûri par la réflexion scientifique et la critique éclairée? »

À un professeur universitaire, un exégète, André Myre, à qui je demandais comment peut-on parler de Dieu aujourd’hui? Il m’a écrit : « On ne devrait pas parler de Dieu, parce que nous parlons à l’aide de mots et de concepts, et qu’il n’en existe aucun pour dire ce qui n’est pas un être, mais le fondement du fait qu’il y a des êtres. Dieu n’est pas en haut de la pyramide des êtres, mais en dessous, en creux, ailleurs, au-delà, en deçà. Je le répète, Dieu n’est pas un être. C’est tout ce qu’on peut dire, ça se dit par la négative, impossible de retourner ça en positif, les mots flanchent. Mon image, c’est déjà mieux que les purs concepts : une spirale, qui fuit à toute vitesse en direction de l’ouverture et qui, par sa pointe, depuis l’éternité, laisse échapper une infinité d’infinité de cosmos (le nôtre n’en est qu’un…), cherchant à manifester à jamais le fruit de sa réponse à la question qui le hante : quel est le sens de l’existence? Nul ne l’atteindra jamais, parce qu’il a une éternité d’avance dans son parcours, mais nous serons à jamais éblouis par la richesse inouïe de sa réponse : l’être a du sens, la réalité est intelligente et le ciment de l’existence est l’amour. De notre côté des choses, qui est celui d’êtres produits par la pointe de la spirale, ce qui nous unit d’abord, c’est l’intelligence et l’amour qui disent le sens des choses. Ce qui nous unit ensuite, c’est le fait qu’en cherchant à penser Dieu, il n’y a pas de différence entre l’athée et le croyant, personne ne sachant de quoi il parle. Dire qu’il existe ou n’existe pas n’a pas de sens, car comment dire qu’existe ou n’existe pas la réalité censée expliquer l’existence des choses. De fait, en parlant d’athée et de croyant, nous ne parlons pas de Dieu mais portons un jugement de valeur sur la religion, ce qui est une tout autre question. Il y a donc des insensés aux deux extrêmes du spectre, soit ceux qui sont sûrs que Dieu existe et ceux qui sont sûrs qu’il n’existe pas. Entre les deux, il y a ceux qui ne sont sûrs de rien, et c’est la grande majorité des humains ». Une chose est certaine : Le croyant sûr de l’existence de Dieu est aussi dangereux que l’athée sûr de son inexistence. La certitude crée l’intégrisme et l’intégrisme privilégie le fanatisme.

2. Un enfant : Dans le monde antique, l’enfant est considéré comme une bénédiction pour la famille, en tant qu’il sera l’adulte de demain. Mais attention! L’enfance n’est pas considérée pour elle-même. Au contraire, les enfants n’ont aucun droit; ils sont à la merci des grands. Saint Paul l’exprime bien dans sa 1ère lettre aux Corinthiens où il dit : « Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant » (1 Co 13,11). L’attitude du Christ de l’évangile de Marc apparaît donc comme radicalement neuve. Elle s’exprime en 2 scènes parallèles qui se renforcent l’une l’autre : « Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit : Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a envoyé » (Mc 9,36-37). Et : « Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit : Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. En vérité je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas » (Mc 10,13-15).

Ce qui veut dire que le Christ de l’évangile voit dans l’enfant le faible par excellence, celui qui est sans défense, qui n’a aucun pouvoir, ni aucune autorité, et, en même temps, qui est disponible et ouvert sur l’avenir. Donc, accueillir l’enfant, lui ressembler, s’identifier à lui, ce n’est pas imposer ses vues aux autres; c’est tout le contraire : c’est accepter une remise en question radicale, renoncer à soi-même pour devenir disciples du Christ. C’est assumer notre condition humaine jusqu’au bout. C’est prendre le même chemin que lui, celui de l’amour, du pardon, de don de soi, de service des autres. Évidemment, sur ce chemin, nous rencontrons nécessairement la croix, car on y rencontre aussi ceux qui ont la certitude que le chemin leur appartient. Par ailleurs, la croix est un échec…Alors pourquoi cet échec? Voici la réponse du théologien français Michel Hubaut : « Et si l’échec était une invitation pour l’homme à se dépasser pour devenir vraiment lui-même? Et si l’échec devait être intégré dans toute pédagogie de croissance? Et si l’échec nous obligeait à ne plus tricher, à jeter nos masques sociaux…qui est le plus grand? Et à vivre en vérité avec notre radicale pauvreté comme cet enfant que Jésus embrasse? Et si l’échec invitait l’homme à choisir entre la folle ambition de se réaliser seul et la grandeur de se laisser aimer, achever par le Dieu de Jésus Christ? Un Dieu qui a eu l’étrange idée de réussir son grandiose dessein en passant par l’échec d’une croix! Certainement pas pour sacraliser l’échec. Probablement pour lui donner une signification! »

En terminant, je veux simplement vous partager cette belle réflexion de l’exégète français Jean Debruynne : « Dans l’évangile, les disciples sont tous là à discuter pour savoir qui sera le plus grand, le plus fort, et Jésus leur donne en leçon un petit enfant. Dieu ne se retrouve pas chez ceux qui veulent être les plus grands; c’est dans ce petit enfant qu’il se reconnaît. Et en même temps, quelle merveilleuse fenêtre ouverte sur la résurrection! Il parle de sa mort et nous montre un enfant. C’est que la mort de Jésus sera une naissance. Et si ce petit enfant c’était chacun de vous? »

Bonne réflexion! Raymond Gravel ptre

Bonne Homélie! Diocèse de Joliette.