Ordinaire 23 (B) : 6 septembre 2009
1ère lecture : Is 35,4-7a
2è lecture : Jc 2,1-5
Évangile : Mc 7,31-37
« Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds » (Is 35,5), nous annonce le prophète Isaïe en 1ère lecture; « Tout ce qu’il fait est admirable : il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7,37), disent les témoins de l’agir du Christ dans l’évangile de Marc. Les deux textes se répondent-ils? Le Jésus de Marc réalise-t-il la prophétie d’Isaïe? S’agit-il d’une guérison physique d’un sourd-muet? Faire une lecture littérale de l’évangile serait, à mon avis, réducteur du message théologique véhiculé par saint Marc. Quel est-il ce message?
Un commentateur des 3 lectures d’aujourd’hui, l’exégète belge Michel Maindon, emprunte la devise de la République française pour en résumer leur contenu : Liberté, Égalité, Fraternité.
1. Liberté : Le chapitre 35 du prophète Isaïe est l’œuvre d’une école de prophètes qui, vers 539 avant notre ère, annonçaient la proche libération des Juifs exilés à Babylone. Le peuple s’affole et panique devant la situation catastrophique qu’il trouve. Isaïe leur dit : « Dites aux gens qui s’affolent : Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver » (Is 35,4). Mais attention! Le mot vengeance n’a pas ici le même sens qu’on lui donne aujourd’hui : il désigne tout simplement le rétablissement du droit lésé par l’agression perpétué contre le peuple et non pas la punition de l’agresseur.
Par ailleurs, les Israélites ne croyaient plus à leur libération. Ils étaient aveugles aux signes des temps, sourds aux promesses des prophètes, mais Isaïe persiste et signe : « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds » (Is 35,5). Paralysés, voici qu’ils bondiront. Plongés dans le mutisme du désespoir, voici qu’ils ne cesseront plus de crier leur joie : « Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie » (Is 35,6a). Le prophète Isaïe annonce un nouvel Exode : « L’eau jaillira dans le désert, des torrents dans les terres arides » (Is 35,6b). C’est aussi une nouvelle création : « Le pays torride se changera en lac; la terre de la soif, en eaux jaillissantes » (Is 35,7).
C’est vraiment de Liberté dont nous parle le prophète. Le peuple en exil est handicapé comme peuvent l’être un aveugle, un sourd, un muet, un boiteux. Redevenu libre, il vivra un nouvel Exode, une création nouvelle. Comme on peut le constater, ce poème d’Isaïe ne se lit pas de façon littérale, au sens propre, mais bien au sens figuré et symbolique.
2. Égalité : Dimanche dernier, saint Jacques évoquait l’aide apportée aux plus démunis (orphelins et veuves) comme le critère de la vraie religion. Aujourd’hui, il ne mâche pas ses mots pour rappeler aux chrétiens de son époque que, dans la foi au Christ Jésus, toute personne est digne d’un égal respect et d’une égale dignité, quelle que soit sa situation sociale. L’exemple qu’il donne n’est sûrement pas imaginaire, puisqu’il se produit encore de nos jours. Des riches, des gens importants, il s’en trouve dans l’Église de Jacques et dans la nôtre aussi. Comment réagissons-nous? Saint Jacques nous dit : « Vous vous tournez vers l’homme qui porte des vêtements rutilants et vous lui dites : Prends ce siège, et installe-toi bien; et vous dites au pauvre : Toi, reste là debout, ou bien : Assieds-toi par terre à mes pieds » (Jc 2,3).
Une chose est certaine : Jacques interpelle les judéo-chrétiens de son temps à une meilleure relation avec les pauvres. 3 messages se dégagent de ses propos :
1) Pas de discriminations : « Agir ainsi, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon des valeurs fausses? » (Jc 2,4)
2) Dieu s’identifie aux pauvres : « Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde? Il les a faits riches de la foi, il les a faits héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’auront aimé » (Jc 2,5). Ce qui veut dire que Jacques connaissait la Béatitude des pauvres (Mt 5,3 et Lc 6,20) et le Jugement dernier des nations dans leur relation aux pauvres (Mt 25).
3) Interpellation de l’Église : Si l’Église du 1er siècle comme celle du 21è siècle n’est pas le lieu où peut se vivre cette valeur évangélique de l’Égalité entre riches et pauvres, où la vivra-t-on? À ce sujet, voici une belle réflexion du 4è siècle sur le pauvre, écrite par saint Jean Chrysostome : « N’estimons pas suffisant pour l’accomplissement de notre salut, de présenter à la table sacrée un vase d’or enrichi de pierreries, après avoir dépouillé les veuves et les orphelins…Voulez-vous rendre honneur au corps du Sauveur? Ne le dédaignez pas lorsque vous le voyez couvert de haillons; après l’avoir honoré dans l’église par des vêtements de soie, ne le laissez pas dehors souffrir du froid et dans le dénuement…Encore une fois, il faut à Dieu non des calices d’or, mais des âmes d’or…Qu’importe que la table du Christ étincelle de coupes d’or, si lui-même meurt de faim? Soulagez d’abord ses besoins; puis, avec ce qui vous restera, enrichissez à votre aise sa table. Eh quoi! Vous lui offrez un calice d’or, et vous lui refusez un verre d’eau fraîche? En conséquence, tout en décorant la maison de Dieu, ne méprisez pas votre frère indigent. Aussi bien, le temple de ce frère est-il plus précieux que celui de Dieu ».
3. Fraternité : Pour mieux comprendre le récit de Marc que nous avons aujourd’hui, il nous faut le situer dans son évangile. Le chapitre 7 de saint Marc nous a fait passer sur l’autre rive du lac de Galilée, c’est-à-dire en territoire païen. Donc, l’annonce de la Bonne Nouvelle n’est pas réservée à un peuple en particulier; le Christ veut l’étendre à toute l’humanité. Il y a 3 parties dans ce chapitre : la 1ère partie que nous avions dimanche passé concernait les règles de puretés rituelles que les Juifs devenus chrétiens voulaient imposer aux païens convertis.
La 2è partie concerne une femme païenne syro-phénicienne qui demande au Christ d’intervenir pour sa fille possédée d’un esprit impur. La parole de Jésus à son endroit est très dure : « Jésus lui dit : Laisse d’abord les enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens » (Mc 7,27). Cette femme dont la foi est très grande lui réplique : « C’est vrai, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent des miettes des enfants » (Mc 7,28). Il n’en fallait pas plus pour la guérir…
En écrivant ces textes, saint Marc veut montrer que ça n’a pas été facile pour l’Église des premiers chrétiens de passer du monde juif au monde païen. Il y avait des réticences de la part des judéo-chrétiens qui ont voulu imposer leurs règles de puretés alimentaires aux nouveaux convertis qu’ils considéraient comme des chiens, des gens moins que rien. Et la 3è partie du chapitre 7, l’évangile d’aujourd’hui, nous montre aussi la difficulté de faire entrer dans l’Église du 1er siècle un païen, sourd à la Parole de Dieu et muet ou plutôt bègue, c’est-à-dire incapable de la proclamer correctement. Cette guérison n’est pas à comprendre sur le plan physiologique, mais plutôt sur le plan spirituel. On y retrouve 5 parties :
1) La médiation : Pour devenir croyant, on a besoin des autres. Ce sont les autres qui amènent à Jésus le sourd-muet pour qu’il puisse se faire imposer les mains : « On lui amène un sourd-muet, et on le prie de poser la main sur lui » (Mc 7,32).
2) La rencontre : Ce sont les autres qui amènent à Jésus le païen, mais la rencontre du Christ se fait en privé, seul à seul : « Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule » (Mc 7,33a).
3) La re-création : Jésus touche le sourd-muet : « Il lui mit les doigts dans les oreilles, et, prenant de la salive, lui toucha la langue » (Mc 7,33b). Il s’agit de recréer, de refaire, de permettre la communication.
4) L’ouverture : Par une parole araméenne : « Effata! » « Ouvre-toi », Jésus rétablit la communication de l’homme avec Dieu et de l’homme avec les autres. Le prêtre français Léon Paillot écrit : « Jésus ne dit pas à ce pauvre homme : entends, ni parle. Il lui dit : ouvre-toi! Dire ouvre-toi à un sourd, c’est en principe ne rien lui dire, puisqu’il n’entend pas. Mais le Christ, Parole créatrice va franchir un mur. Avec des gestes bizarres, et même choquants. Pourquoi les doigts dans les oreilles et de la salive sur la langue? Sans doute pour nous faire comprendre que Dieu, en son Fils, vient physiquement au contact de notre mal. Ouvre-toi, dit-il, comme pour mettre en évidence la fermeture, la prison dans laquelle l’homme est enfermé. Et par sa propre salive sur la langue de ce païen, Jésus ne met-il pas en lui sa propre Parole avec mission, pour lui, d’aller à son tour la transmettre au monde? C’est ainsi que le Christ ouvre la route et rétablit la communication intégrale, de l’homme avec son Dieu, et de tout homme avec tous les hommes ».
5) La mission : Une fois la communication rétablie, l’homme peut entendre la Parole et la proclamer : « Ses oreilles s’ouvrirent; aussitôt sa langue se délia, et il parlait correctement » (Mc 7,35), et intégrer la communauté chrétienne, avec laquelle il devient missionnaire et un frère : « Alors Jésus leur recommanda de n’en rien dire à personne; mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient » (Mc 7,36).
En terminant, nous sommes invités aujourd’hui à réaliser qui nous sommes vraiment. Ce n’est pas seulement parce que nous avons été baptisés-confirmés que nous sommes des disciples du Christ. Il se peut que nous soyons devenus sourd-muet dans l’Église, en refusant d’entendre une Parole neuve de Dieu et de la proclamer aux hommes et aux femmes de notre temps. Et pourtant, il en va de la mission chrétienne de l’Église d’aujourd’hui. L’exégète Hyacinthe Vulliez ajoute : « L’évangéliste écrit qu’avant de guérir ce sourd-muet, Jésus leva les yeux au ciel et soupira. J’imagine que ce fut un long soupir car il est si difficile d’ouvrir des oreilles pour qu’elles entendent vraiment, de donner l’usage de la parole pour un parler vrai ».
Bonne réflexion!
Bonne Homélie!
Raymond Gravel ptre
Diocèse de Joliette