mercredi 11 novembre 2009

ORDINAIRE 33 (B)

Sachez que le Fils de l’homme est proche

Marc 13, 29

À la fin de chaque année liturgique, les textes bibliques qui nous sont proposés nous parlent de la fin des temps. Les auteurs utilisent un procédé littéraire qu’on appelle apocalypse. Mais attention! Apocalypse n’est pas synonyme de catastrophe, comme le laisse entendre certains de nos contemporains. Au contraire, apocalypse signifie révélation, ce qui veut dire : annonce d’une Bonne Nouvelle, dans des moments difficiles à vivre. Aujourd’hui, nous avons 2 exemples de ces événements tragiques qui servent de tremplins pour susciter l’espérance des croyants.

1. Apocalypse de Daniel : Le livre de Daniel a été écrit dans des circonstances dramatiques. Nous sommes en l’an 164 avant notre ère. Le roi grec Antiochus IV, soutenu par un groupe de Juifs hellénisés, a décrété la fin du Judaïsme. Imaginez : Depuis l’an 167 av. J-C., dans l’empire grec, le Temple de Jérusalem est consacré à Zeus. La population juive restée fidèle à Yahvé, le Dieu de l’Alliance, est pourchassée et persécutée. Le sang des martyrs coule à flot. Alors, l’auteur du livre de Daniel raconte les événements et il les interprète en utilisant le style apocalyptique. Pour lui, il s’agit donc de la fin des temps, du combat de la fin qui s’achèvera par la victoire finale de Yahvé sur les forces du mal, sur les divinités païennes.

Le passage qu’on lit aujourd’hui raconte l’intervention divine par l’intermédiaire de l’archange Michel, le chef des armées célestes. Au moment où tout semble perdu, Israël sera sauvé par Dieu. Cependant, surgit un gros problème. Vous savez que chez les Juifs, on ne croyait pas en la Résurrection après la mort. On croyait à une sorte de rétribution en cette vie, selon le bien ou le mal qu’on faisait; de sorte que si quelqu’un était bon, Dieu le bénissait, lui et sa famille. Il le protégeait du mal. S’il était mauvais, la malédiction était sur lui durant sa vie. Mais voilà que durant cette période grecque, plusieurs Juifs ont été martyrisés à cause de leur fidélité au Dieu de l’Alliance. Qu’arrivera-t-il à ceux-là, puisqu’ils sont morts martyrs? Et c’est là que naît l’idée de la Résurrection. Il n’est pas possible que les martyrs soient morts en vain! Le prophète Daniel écrit : « Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront : les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles » (Dn 12,2).

Pour les croyants de cette époque difficile, c’est une question de justice : ceux qui sont demeurés fidèles à Dieu doivent être récompensés et ceux qui les ont martyrisés doivent être punis. Le concept de rétribution qui s’appliquait en cette vie seulement, voilà qu’il est étendu au-delà de la mort, à la Résurrection. Cette foi en la Résurrection individuelle sera adoptée par le Judaïsme de tendance pharisienne, alors qu’elle sera rejetée par les Sadducéens. On peut le voir dans l’évangile de Marc lorsque les Sadducéens posent une question à Jésus sur la femme qui meurt et qui a eu 7 maris… Avec lequel se retrouvera-t-elle dans l’au-delà? (Mc 12,18-27).

Par ailleurs, pour les chrétiens qui lisent le livre de Daniel, ils reconnaissent le Christ lumière et maître de Justice dans le verset suivant : « Les sages brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude resplendiront comme les étoiles dans les siècles des siècles » (Dn 12,3).

2. Apocalypse de Marc : L’évangéliste Marc a son discours apocalyptique lui aussi, non pas pour prédire une catastrophe, mais bien pour annoncer un monde nouveau. Le retour du Seigneur que Marc annonce, juste avant d’entamer le récit de la passion de Jésus, c’est déjà l’annonce de la Résurrection. C’est la victoire de la vie sur la mort; c’est le jour vainqueur de la nuit. C’est comme si nous assistions à une seconde naissance du monde, à une nouvelle création, à un nouveau commencement. Et tout le cosmos y participe : « En ces temps-là, après une terrible détresse, le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat. Les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées » (Mc 13,24-25), et toute la création est concernée : « Il (le Fils de l’homme) enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel » (Mc 13,27).

Qu’est-ce que ça veut dire tout ça? Marc écrit son évangile à Rome vers 70 de notre ère. Le Temple de Jérusalem vient d’être détruit par les Romains, les chrétiens sont dénoncés et massacrés par les empereurs successifs : Néron, Domitien, Claude et les autres. Ce que l’évangéliste annonce, ce n’est pas une catastrophe; c’est la fin d’un régime oppressif et inhumain, et l’avènement d’un monde meilleur. Les astres qui sont vus comme des divinités chez les Romains, seront ébranlés et le salut est offert à tous, sans exception, des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel (Mc 13,27b). Et pour bien montrer qu’il s’agit d’un monde nouveau, d’une vie nouvelle qui surgit, la comparaison avec le figuier annonce, non pas l’automne et la saison morte, mais bien le printemps de ce monde nouveau avec toutes ses promesses de vie : « Que la comparaison du figuier vous instruise : Dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche » (Mc 13,28). Donc, si Christ est ressuscité, et de fait il l’est, puisque Marc écrit après Pâques, dites-vous bien que l’été est proche et que le monde nouveau est déjà né, même si ça ne paraît pas encore.

Et la question de savoir le moment où ça paraîtra, le Christ de l’évangile de Marc répond : « Quand au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père » (Mc 13,32). Ce qui veut dire pour tous les Témoins de Jéhovah de ce monde : Arrêtez de prédire la fin du monde! Ça ne donne absolument rien. Au contraire, participez à la croissance du monde nouveau, commencé à Pâques et qui se continue encore aujourd’hui, à travers nous. Et la seule façon d’y participer, c’est par notre engagement à rendre le monde meilleur, c’est-à-dire rétablir la justice, redonner la dignité à ceux et celles qui l’ont perdue et rendre compte de l’espérance qui nous habite.

En terminant, en 2e lecture aujourd’hui, qui fait suite à celle de la semaine passée, l’auteur de la lettre aux Hébreux nous dit explicitement que le sacrifice du Christ sur la croix du Vendredi Saint, donne à ceux qui le reconnaissent, la sainteté : « Par son sacrifice unique, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qui reçoivent de lui la sainteté » (Hb 10,14), et le pardon définitif de leurs limites et de leurs péchés : « Quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour les péchés » (Hb 10,18). Et c’est pourquoi, dit le théologien belge Jacques Vermeylen : « À partir de ce texte christologique, il est possible de développer une réflexion sur les pratiques chrétiennes. Le prêtre chrétien n’est pas un hiereus, spécialiste du sacré, comme ceux de la Première Alliance et d’autres religions, et c’est pourquoi parler de sacerdoce à son sujet est pour le moins ambigu. D’autre part, s’il est vrai que le sacrifice efficace a été offert une fois pour toutes par le Christ, parler du sacrifice de la messe ne peut se faire sans précautions ».

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

vendredi 6 novembre 2009

Ordinaire 32 (B)

Ordinaire 32 (B) : 8 novembre 2009

Réf. Bibliques : 1ère lecture : 1 R 17,10-16

2è lecture : Hb 9,24-28

Évangile : Mc 12,38-44

Si j’avais à donner un titre à l’évangile d’aujourd’hui, ce serait le suivant : La richesse des pauvres ou la générosité du cœur. Car c’est bien de cela dont il est question en 1ère lecture et dans l’évangile d’aujourd’hui : c’est l’exemple concret d’une pauvre veuve, exemple qu’éclaire, en 1ère lecture, le grand cœur de la veuve de Sarepta qui offre ses dernières provisions à Élie, le prophète de Dieu. Ce que ces textes nous apprennent, c’est que Dieu est à l’œuvre dans les plus petits gestes de partage, et ces gestes, les pauvres savent les faire mieux encore que les riches. C’est pourquoi, ils sont les préférés de Dieu. Précisons d’abord ce que sont la pauvreté et la richesse :

-Pauvreté : Une personne démunie matériellement ou psychologiquement.

Une personne qui ne possède ni le pouvoir, ni l’avoir.

Une personne marginalisée par la majorité.

Une personne qu’on exploite, qu’on condamne et qu’on exclut.

-Richesse : Quelqu’un qui possède de grands biens.

Quelqu’un qui exerce le pouvoir.

Quelqu’un en autorité, qui décide pour les autres.

Ce peut être quelqu’un de bien.

Mais pourquoi la générosité convient-elle mieux aux pauvres qu’aux riches?

1. La générosité est humble : Dans l’évangile d’aujourd’hui, le Christ de Marc accuse directement les scribes et les pharisiens d’être des orgueilleux qui cherchent uniquement à paraître : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners » (Mc 12,38-39). Dans le fond, ils sont tellement préoccupés par le paraître qu’ils ne peuvent être autrement que ce qu’ils laissent paraître, c’est-à-dire des personnages importants, bien en vue, qui ne peuvent décevoir les autres et donnent beaucoup : « Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait la foule déposer de l’argent dans le tronc. Beaucoup de gens riches y mettaient de grosses sommes » (Mc 12,41). Ça sonne fort…ça fait pesant dans le tronc. Mais ne dit-on pas que la générosité de fait pas de bruit? Il n’y a pas d’humilité dans ça : il faut que tout le monde voit que le riche donne beaucoup d’argent aux autres…cf. Guy Laliberté et Céline Dion. Et pourtant, dit l’évangile : « Une pauvre veuve s’avança et déposa deux piécettes » (Mc 12,42).

Mais pourquoi une veuve? Parce qu’au temps de l’évangéliste, les veuves et les orphelins étaient parmi les plus pauvres de la société de l’époque. Imaginez une femme avec 3 jeunes enfants qui perd son mari. Elle n’a aucun droit et pire encore, on peut même la chasser de son domicile et elle se ramasse à la rue. Elle devient la propriété des frères de son mari décédé. S’appliquait pour eux le devoir du lévirat. Mais comme ces hommes étaient souvent eux-mêmes mariés, ils pouvaient se soustraire à ce devoir…mais la veuve demeurait toujours leur propriété et elle ne pouvait se remarier sans le consentement des frères du défunt à qui elle appartenait. Ce n’est pas pour rien que les premiers chrétiens dénonçaient avec vigueur cette situation, mais ça a pris quelques siècles avant que ça change.

La veuve donc, qui met deux petites piécettes dans le tronc du Temple, elle ne le fait pas annoncer dans les journaux; elle le fait tout simplement avec le cœur. C’est la générosité du cœur, la générosité dans toute sa gratuité. Une générosité qui est humble et sincère : « Cette pauvre veuve, dit Jésus, a mis dans le tronc plus que tout le monde » (Mc 12,43). Et pourquoi? « Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre » (Mc 12,44).

2. La générosité est honnête : Dans l’évangile, le Christ de Marc accuse les scribes et les pharisiens d’être des voleurs : « Ils dévorent les biens des veuves » (Mc 12,40a). Une question surgit : de quelle façon ces hommes de pouvoir volent-ils les pauvres, en l’occurrence les veuves? En permettant que ces femmes vivent dans la misère. On leur enlevait même leur maison, sous prétexte que c’était la loi du lévirat, et qu’une femme ne pouvait être propriétaire de biens matériels. Dans le fond, ces hommes avaient beau donner beaucoup d’argent au Temple et même à des œuvres caritatives, ils s’accaparaient ces sommes de façons injustes pour les distribuer ensuite. Il ne peut donc pas y avoir générosité de leur part, car la générosité est honnête; elle ne peut être le fruit d’une injustice ou le résultat d’une exploitation des pauvres.

Rappelez-vous ce que disait, au 4è siècle, saint Basile de Césarée : « À qui fais-je du tort, dit l’avare, en gardant ce qui m’appartient? Mais quels sont, dis-le moi, les biens qui t’appartiennent? D’où les as-tu tirés? Tu ressembles à un homme qui, prenant place au théâtre, voudrait empêcher les autres d’entrer et entendrait jouir seul du spectacle auquel tous ont droit. Tels sont les riches : les biens communs qu’ils ont accaparés, ils s’en décrètent les maîtres, parce qu’ils en sont les premiers occupants. Si chacun ne gardait que ce qui est requis pour ses besoins courants, et que le superflu il le laisse aux indigents, la richesse et la pauvreté seraient abolies… »

3. La générosité est sincère et vraie : En parlant des scribes, le Christ de Marc dit : « Ils affectent de prier longuement » (Mc 12,40b), pour montrer leur hypocrisie. Combien se cachent derrière la religion pour justifier leur intransigeance et leur intolérance? N’y a-t-il pas de ces attitudes, encore aujourd’hui, chez les scribes et les pharisiens du 21è siècle? Quand, au nom de la religion, on condamne les personnes qui vivent un échec dans leur mariage, on exclut les homosexuels qui essaient tout simplement d’assumer leur réalité ou encore, on refuse la pleine égalité entre les hommes et les femmes dans l’Église, ne sommes-nous pas comme ces scribes de l’évangile? Et pourtant, l’évangile est là…qu’en faisons-nous?

Dans la parabole du riche et du pauvre Lazare, que seul saint Luc raconte, n’y a-t-il pas un message clair à ce sujet. Quand le riche se retrouve dans de grandes souffrances parce qu’il a ignoré durant sa vie le pauvre Lazare à côté de lui, il dit à Abraham : « Je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture » (Lc 16,27-28), la réponse est limpide : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent » (Lc 16,29). Mais le riche insiste : « Non, Abraham, mon père, mais si quelqu’un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront » (Lc 16,30). La réponse est on ne peut plus claire : « S’ils n’écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts ils ne seront pas convaincus » (Lc 16,31).

En effet, le Christ est ressuscité d’entre les morts, et il y a encore aujourd’hui, un milliard d’humains sur la planète qui souffrent de la faim. Que d’hypocrisie de la part des scribes et des pharisiens de ce monde qui se cachent derrière la prière pour justifier leur inaction. En 1ère lecture aujourd’hui, nous avons un bel exemple où la dignité humaine ne se mesure pas selon notre appartenance à un peuple ou à une Église ou encore au statut social de quelqu’un. Dieu agit et se reconnaît à travers une femme, païenne, veuve par-dessus le marché, qui a pour mission de nourrir son prophète. C’est par elle qu’Élie peut continuer sa mission. En 2009, en qui Dieu se reconnaît-il et par qui agit-il dans notre société et dans notre Église?

En terminant, un mot sur la 2è lecture aujourd’hui : Non à la religion! Oui à la foi! Quand je lis cet extrait de la lettre aux Hébreux, j’ai l’impression parfois que la religion passe souvent, malheureusement, à côté de la foi. Dans sa comparaison du Christ de la nouvelle Alliance avec le grand prêtre de l’ancienne Alliance, l’auteur de la lettre aux Hébreux écrit explicitement : « Le Christ n’a pas à recommencer plusieurs fois son sacrifice, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien » (Hb 9,25). Alors, comment se fait-il que dans la religion, on dit répéter le sacrifice du Christ à chaque semaine, et même à chaque jour? Se peut-il que la messe ne soit pas un sacrifice, mais bien une célébration, une fête de la Résurrection? De plus, si le Christ nous a affranchis du péché une fois pour toutes par sa mort sur la croix du Vendredi Saint, comment se fait-il que nous doutions encore de ce pardon, en confessant nos péchés? La célébration du pardon n’est donc pas l’occasion de nous confesser, nous sommes déjà pardonnés; par ailleurs, c’est le lieu où l’on doit célébrer ensemble l’Amour du Christ pour nous et l’espérance du salut en plénitude que nous attendons toujours : « Ainsi le Christ, après s’être offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude, apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent » (Hb 9,28).

Convertissons-nous donc à l’évangile! C’est urgent! C’est une question de confiance et d’espérance pour tous les croyants et c’est une question de justice et de dignité pour tous les humains.

Bonne réflexion! Raymond Gravel ptre

Bonne Homélie! Diocèse de Joliette

Toussaint 2009

Toussaint (B) : 1er novembre 2009

Réf. Bibliques : 1ère lecture : Ap 7,2-4.9-14

2è lecture : 1 Jn 3,1-3

Évangile : Mt 5,1-12a

Ce dimanche, on laisse le temps ordinaire pour célébrer la fête de tous les saints, non seulement ceux et celles qui sont reconnus officiellement comme tel et qui ont leurs noms inscrits sur le calendrier liturgique, mais aussi tous ces hommes et toutes ces femmes de nos familles, de nos amis, souvent anonymes, qui ont vécu tout simplement leur histoire avec ses hauts et ses bas, qui ont travaillé, qui ont aimé, qui ont donné, qui ont su transmettre des valeurs humaines à leurs descendants. On les fête tous et toutes aujourd’hui…C’est la seule journée qui leur est consacrée. Il ne s’agit pas de relativiser la sainteté. Non! Il s’agit seulement de reconnaître toutes ces luttes, tous ces combats, tous ces engagements d’une multitude d’hommes et de femmes qui ont cherché, en leur temps, à rendre le monde plus beau, plus juste et plus fraternel. En un mot, c’est la fête de ceux et celles qui ont humanisé notre monde. Mais, de ces gens anonymes, que nous disent les textes bibliques qui nous sont proposés aujourd’hui?

1. Ils sont 144,000 (Ap 7,4) : Apocalypse signifie révélation. Comme tous les passages de ce livre, celui qu’on a aujourd’hui est codé. Pourquoi? Parce qu’il a été écrit à des moments difficiles où seuls des initiés pouvaient en comprendre le sens. Il y a beaucoup de symboles dans l’Apocalypse : les chiffres : 4 est le chiffre de l’univers terrestre : les 4 points cardinaux, les 4 anges pour les 4 coins de la terre et de la mer…donc, le monde entier. 12 et son multiple 144 signifient la totalité et 1,000 la multitude innombrable…ce qui fait 144,000 serviteurs de Dieu, c’est-à-dire toute l’humanité, marqués du sceau, du baptême chrétien (Ap 7,3-4).

Les couleurs : le blanc est la couleur de la lumière du soleil, de la divinité, des rites de passage, de la pureté : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main » (Ap 7,9). Le trône est le siège de Dieu et l’Agneau représente Jésus pur et doux, victime immolé pour les humains.

Mais attention! On a longtemps compris que l’auteur de l’Apocalypse identifiait les élus aux seuls martyrs du 1er siècle, puisqu’il écrit au temps des persécutions et il parle de la grande épreuve et des vêtements lavés et purifiés dans le sang de l’Agneau (Ap 7,14)…mais, il n’en est rien. La grande épreuve c’est le lot de toutes les vies humaines qui sont faites de beautés mais aussi de fragilités, de joies et de peines, de bonheur mais aussi de souffrances et de malheur. Et laver et purifier ses vêtements dans le sang de l’Agneau, c’est adhérer tout simplement à la foi chrétienne, en assumant son humanité jusqu’au bout comme le Christ. Les élus sont donc tous les témoins de la foi et non pas seulement les martyrs du 1er siècle.

2. L’amour parental de Dieu (1 Jn 3,1) : L’expérience de l’amour des humains a permis de définir le Dieu amour, et en découvrant ce Dieu amour, nous avons aussi compris notre filiation divine : « Voyez comme il est grand, l’amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes » (1 Jn 3,1a). Et c’est pourquoi le monde, c’est-à-dire ceux et celles qui ne croient pas, ne peut nous connaître comme fils et filles de Dieu, puisqu’il ne connaît pas Dieu et n’a pas fait l’expérience de l’amour : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu » (1 Jn 3,1b)

Il est vrai que nous sommes enfants de Dieu, mais ce n’est pas évident, puisque nous sommes, comme tout le monde, des êtres matériels : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement » (1 Jn 3,2a). Par ailleurs, nous sommes promis à la résurrection comme le Christ et c’est là notre espérance et non pas notre certitude : « Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur » (1 Jn 3,2b-3).

3. Les Béatitudes : la charte des petits et des pauvres (Mt 5,1-12a) : En écrivant : « Il gravit la montagne » (Mt 5,1), Matthieu évoque Moïse au Sinaï. Pour la communauté de Matthieu, l’allusion est claire : Jésus est le nouveau Moïse et les Béatitudes sont la nouvelle Loi qui s’adresse d’abord aux pauvres, aux petits, aux exploités, aux méprisés, aux exclus, aux persécutés, aux blessés de la vie. Au nombre de 8, ces béatitudes sont à la fois un revirement de situation pour ceux qui sont concernés et une promesse de bonheur pour les autres qui, en les appliquant, changent la situation des personnes concernées.

Les 3 premières : pauvres de cœur, doux, ceux qui pleurent…marquent davantage un manque et l’expérience vécue de ce manque, et ceux qui les vivent ces béatitudes, c’est-à-dire ceux qui savent reconnaître leur pauvreté et celle des autres, ceux qui sont doux et font preuve de douceur envers les autres et ceux qui pleurent mais qui savent consoler les autres…ceux-là seront comblés : ils renverseront la réalité des pauvres, des sans défense et des affligés.

La béatitude centrale : faim et soif de justice…exprime une attitude profonde par rapport à la première valeur de toute la Bible, qui consiste à rétablir la justice pour les autres d’abord, afin que nos droits soient respectés. C’est la seule façon que Dieu peut rassasier ceux et celles qui éprouvent une telle faim et une telle soif. Ce désir de justice ne peut être orienté vers soi, s’il n’est pas d’abord tourné vers l’autre, les autres.

Les 3 béatitudes suivantes : les miséricordieux, les cœurs purs et les artisans de paix…indiquent davantage le trop-plein d’amour qui doit déborder sur les autres et qui nous fait ressembler au Christ et à Dieu : « Ceux-là verront Dieu et seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,8.9).

Enfin, la 8è qui est dédoublée en ils d’abord et en vous ensuite…exprime la dure réalité de la communauté de Matthieu qui vit les persécutions romaines de la fin du 1er siècle et les insultes, à cause de sa foi au Christ de Pâques. Pour Matthieu, la récompense ne peut être que plus grande dans les cieux (Mt 5,12a).

En cette fête de la Toussaint, l’exégète Charles Wackenheim écrit : « Notre monde regorge d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui pleurent : de douleur, de solitude, de misère. Heureux sont-ils, s’ils font de leurs larmes un aveu, un cri, un appel au secours, une protestation, une parole d’espoir capable de sécher les larmes d’un plus malheureux qu’eux. C’est ainsi que Dieu les console : par la compassion. Du même coup, nous apprenons à distinguer le bonheur authentique du divertissement tapageur et la bonne humeur du sarcasme. Le chrétien aime la détente et l’humour, qui conjurent l’esprit de sérieux, cette maladie de l’esprit et de l’âme : Un saint triste est un triste saint. La fête de la Toussaint se nourrit de la joie de Dieu offerte aux hommes. Tel est le secret de la transformation du monde à laquelle nous sommes attelés ».

En terminant, comme la fête d’aujourd’hui concerne surtout les saintes et les saints anonymes de l’histoire, reprenons ces belles paroles du prêtre compositeur Robert Lebel : Ils sont nombreux les bienheureux : « Ils sont nombreux les bienheureux qui n’ont jamais fait parler d’eux, et qui n’ont pas laissé d’image…Tous ceux qui ont, depuis des âges, aimé sans cesse et de leur mieux, autant leurs frères que leur Dieu! Ceux dont on ne dit pas un mot, ces bienheureux de l’humble classe, ceux qui n’ont pas fait de miracle…Ceux qui n’ont jamais eu d’extase, et qui n’ont laissé d’autre trace, qu’un coin de terre ou un berceau. Ils sont nombreux ces gens de rien, ces bienheureux du quotidien, qui n’entreront pas dans l’histoire…Ceux qui ont travaillé sans gloire, et qui se sont usé les mains, à pétrir, à gagner le pain. Ils ont leurs noms sur tant de pierres, et quelquefois dans nos prières, mais ils sont dans le cœur de Dieu! Et quand l’un d’eux quitte la terre, pour gagner la maison du Père, une étoile naît dans les cieux… ÉTERNELLEMENT HEUREUX! DANS SON ROYAUME! »

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

Ordinaire 30 (B)

Ordinaire 30 (B) : 25 octobre 2009

Réf. Bibliques : Évangile : Mc 10,46-52

Dans l’évangile d’aujourd’hui, on approche de Jérusalem, lieu où se vit l’événement fondateur de notre foi chrétienne; on fait une halte à Jéricho, et voilà qu’on assiste au dernier miracle de Jésus dans l’évangile de Marc : celui d’un aveugle qui recouvre la vue ou plutôt celui d’un mal croyant qui devient disciple du Christ. Si l’évangéliste Marc situe son récit de Bartimée, l’étranger, immédiatement après celui des disciples les plus proches de Jésus, Jacques et Jean qu’on avait dimanche passé, c’est qu’il a voulu dire quelque chose aux chrétiens de sa communauté, et par le fait même, à nous aussi aujourd’hui. Quels messages peut-on en tirer?

1. Un disciple n’est jamais arrivé : Qu’est-ce que je veux dire par là? Dans la foi chrétienne et dans notre vie de croyant, il ne faut jamais se croire arriver ou encore prendre pour acquis nos découvertes, nos connaissances, nos conversions, notre foi et notre espérance chrétienne. Pour bien comprendre cette réalité, il nous faut mettre en parallèle le récit d’aujourd’hui et celui qui le précède de dimanche passé. Je m’explique : Nous sommes en route vers Jérusalem. Jésus marche devant, accompagné de ses disciples et suivi d’une foule nombreuse (Mc 10,46a)…

1) Tous à coup, on voit quelqu’un, un étranger, un exclus, un mendiant aveugle, assis sur le bord de la route (Mc 10,46b). Dimanche passé, le récit de Marc commençait en disant que 2 disciples, les plus proches de Jésus, marchaient avec lui (Mc 10,35a). Donc, l’exclus, l’étranger est assis et ne peut pas bouger, tandis que les disciples, eux, sont debout et peuvent marcher.

2) Apprenant par la foule que c’était Jésus de Nazareth qui passait par là, l’aveugle se mit à crier : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi! » (Mc 10,47). La semaine passée, les 2 disciples disent à Jésus : « Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande » (Mc 10,35b).

3) Dans les deux cas, Jésus intervient de la même façon : À Bartimée, il dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » (Mc 10,51a); aux 2 disciples Jacques et Jean, Jésus dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous? » (Mc 10,36).

4) L’aveugle répondit : « Rabbouni (comme Marie-Madeleine au matin de Pâques), que je voie! » (Mc 10,51b). Les disciples, eux, demandent à Jésus : « Accorde-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » (Mc 10,37).

N.B. Il y a comme un renversement de situation dans ces 2 récits : Au début, le mendiant aveugle est assis, immobile sur le bord de la route. Sa très grande foi le fait crier, même si la foule veut le faire taire, puisqu’il crie de plus belle. Et lorsque appelé par le Christ et encouragé par la même foule qui voulait le faire taire, il abandonne sa seule sécurité qu’il possède, son manteau, bondit et court vers celui qui l’appelle (Mc 10,50). À sa demande, la guérison est totale : il devient disciple : « Jésus lui dit : Va, ta foi t’a sauvé. Aussitôt l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route » (Mc 10,52). Les 2 disciples, quant à eux, sont debout; ils accompagnent le Maître. Ils se croient donc importants. Ils prennent pour acquis le chemin parcouru, comme s’ils étaient arrivés. Ils demandent à s’asseoir. La réponse du Christ est claire : « Vous ne savez pas ce que vous demandez » (Mc 10,38a). Ce qui veut dire : Vous ne comprenez rien! Et là, c’est l’exclusion : « Les dix autres avaient entendu, et ils s’indignaient contre Jacques et Jean » (Mc 10,41).

Ce qu’il nous faut retenir de tout ça aujourd’hui, c’est 3 choses :

1) Être disciple du Christ ne donne aucun privilège, aucun titre honorifique autre que celui de serviteur ou même d’esclave.

2) Un chrétien n’est jamais arrivé, même si ça fait longtemps qu’il est disciple. Aussi, il n’est pas plus chrétien que celui qui vient à peine de se convertir. Rappelons-nous la parabole des ouvriers de la onzième heure dans l’évangile de Matthieu (Mt 20,1-16)

3) La foi n’est jamais acquise : Bartimée l’aveugle s’adresse d’abord au fils de David, donc celui qu’on croyait être le libérateur politique du peuple d’Israël, du pouvoir romain. Par ailleurs, comme il demande à voir, donc à croire, il reconnaît en Jésus, non plus ce libérateur politique, mais bien le Maître, le Rabbi, et mieux encore le Rabbouni de Marie-Madeleine au matin de Pâques (Jn 20,16). Jacques et Jean, eux, faisant partie des Douze et croyant pouvoir obtenir un privilège, puisqu’ils ont suivi le Christ depuis longtemps, deviennent aveugles, à leur tour…Ils ne comprennent pas la mission du Christ qui est aussi la leur.

2. Mais nous aujourd’hui : Le théologien français Gérard Bessière écrit : « Et nous? Ne sommes-nous pas souvent aveugles, enfermés en nous-mêmes? Ne faudrait-il pas jeter le manteau, nous délester de nos protections, nous risquer dans le noir vers Jésus pour être soudain illuminés de sa lumière? » Selon l’exégète français Jean Debruynne, 2 chemins nous sont proposés dans cet évangile : Le chemin de la confiance et le chemin de la lumière :

1) Le chemin de la confiance : Au début du récit, Bartimée est assis au bord de la route. Il est posé là comme une poubelle. Sans doute que les gens ne le voyaient même plus. Mais parce que quelqu’un, le Christ, lui fait confiance, l’appelle, alors tout devient possible! Jean Debruynne écrit : « Il suffit d’une marque de confiance pour que celui qui était assis se lève, pour que celui qui était écrasé, humilié, méprisé se retrouve debout ». Et là, ce n’est plus l’aveugle qui est rejeté, c’est la seule protection qu’on lui a donné : son manteau. Ce qui signifie qu’on peut même se libérer de ce qui nous a toujours identifié et il nous faut le faire, si on veut avancer sur la route de la confiance

2) Le chemin de la lumière : L’autre chemin que nous ouvre cet évangile, c’est celui de la lumière. Comme chrétien, comme disciple du Ressuscité, nous ne pouvons demander la richesse, le bien-être, les récompenses…Nous devons demander à voir, c’est-à-dire à croire. Jean Debruynne écrit : « Marc nous indique ainsi que la foi n’est pas un savoir mais un regard pour voir. Voir et croire dans l’Évangile deviennent un même chemin ». Aujourd’hui, dans notre Église, lorsqu’on refuse de voir le monde dans lequel on vit, lorsqu’on refuse d’accueillir les réalités nouvelles qui sont les nôtres, lorsqu’on exclut des personnes, sous prétexte qu’elles ne correspondent pas aux étiquettes qu’on veut leur imposer, ne sommes-nous pas des aveugles nous aussi? Ne refusons-nous pas le chemin de lumière qui nous est proposé par le Christ de l’évangile de Marc?

Bartimée dans l’évangile qui demande à voir, voit, croit et marche sur le chemin de la lumière, de sorte que l’évangéliste ajoute : « Aussitôt l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route » (Mc 10,52b). Demandons donc à voir nous aussi comme le Bartimée de saint Marc. Jean Debruynne termine en disant : « Ouvrir les yeux, c’est déjà se mettre en route! Pour voir Dieu, ne fermez pas les yeux, ouvrez-les! »

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette