vendredi 31 juillet 2009

ORDINAIRE 18 (B)

1ère lecture : Ex 16,2-4.12-15

2è lecture : Ép 4,17.20-24

Évangile : Jn 6,24-35

Après avoir lu, dimanche dernier, le récit de la multiplication des pains ou plutôt le récit du don et du partage du pain, selon saint Jean, nous commençons aujourd’hui, pour 3 dimanches consécutifs, le discours sur le Pain de Vie. Ce discours veut d’abord nous faire passer de la faim matérielle à la faim spirituelle : du pain qui apaise la faim du ventre au vrai Pain qui apaise toutes les faims…Et ce Pain de Vie, c’est le Christ lui-même. On peut donc voir que ce discours, dans l’évangile de Jean, est le fruit d’une longue réflexion chrétienne sur l’Eucharistie qui est composée de la Parole proclamée et du Pain de Vie partagée. Mais quels messages pouvons-nous tirer de cette première partie du discours de Jean 6?

1. Les faims du monde : Il y a bien sûr la faim matérielle, la faim élémentaire de pain, de nourriture dont tout le monde a besoin, mais dont 1 personne sur 10 dans le monde en est privée. Selon les dernières statistiques de l’ONU, 6 milliards d’êtres humains, dans le monde, souffrent de la faim. C’est scandaleux! Lorsqu’on sait tout le gaspillage qui se fait par ceux-là même qui possèdent la richesse et la capacité de nourrir les autres. Malheureusement, nous faisons partie de ceux-là. Et pourtant, cette faim-là doit être apaisée avant même de parler d’autres faims. Et pourquoi? Il y a un dicton qui dit : Ventre affamé n’a pas d’oreille. Quand on a faim physiquement, on ne peut ressentir les autres faims.

Par ailleurs, il nous faut définir les autres faims. Peut-être que celles-ci pourront nous faire prendre conscience de ce que nous possédons et nous inciter davantage à partager et à nourrir ceux qui ont faim. Les faims de liberté, de tendresse, de dignité, de pardon, de justice, d’amour, de paix et d’espérance sont des faims humaines qu’il nous faut combler pour pouvoir continuer à vivre, à aimer et à être aimé. Mais toutes ces faims ne peuvent être apaisées, nourries, qu’au prix de nombreux sacrifices et de souffrances de toutes sortes qui s’expriment par l’image du désert, autant dans l’Ancien Testament que dans l’Évangile. Le théologien français Michel Hubaut écrit : « Qui d’entre nous, quel peuple, quelle église, ne doit-il pas, un jour ou l’autre de son histoire, faire l’expérience de la traversée du désert, y découvrir sa radicale pauvreté afin d’être disponible aux dons de Dieu! Traversées du désert plus ou moins dramatiques : une épreuve morale ou de santé, une période de doute, d’aridité, de rupture, une impression de tourner en rond… ».

2. Les déserts : Les déserts ne sont jamais faciles à traverser et à vivre. On peut même refuser d’y entrer, même si on sait qu’ils sont nécessaires pour découvrir et comprendre les faims et y trouver la nourriture dont on a besoin pour combler ses faims. Dans l’extrait du livre de l’Exode que nous avons aujourd’hui, le peuple d’Israël, à peine sorti de l’esclavage de l’Égypte, regrette le bon vieux temps de servitude : « Ah! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé! » (Ex 16,3). La liberté est une aspiration et une faim, mais aussi un désert et une épreuve, où l’on doit apprendre à s’entraider et à partager. L’image de la manne (pain) et des cailles (poissons) qu’on ne peut accumuler, n’est-ce pas un apprentissage à vivre ensemble, à se préoccuper des autres et à se solidariser avec eux? Ce pain et ces poissons repris dans les évangiles font de la foule anonyme un peuple de frères et de sœurs (cf. l’évangile de dimanche passé).

Selon l’auteur de la lettre aux Éphésiens, les chrétiens gardent eux aussi la nostalgie de leur existence passée, ce que Paul appelle l’homme ancien, où c’était le chacun pour soi d’une société dont profitaient ceux qui en avaient les moyens et qui ignoraient les laissés pour compte. Ce n’est pas de cette façon que doivent vivre les chrétiens : « Lorsque vous êtes devenus disciples du Christ, ce n’est pas cela que vous avez appris » (Ép 4,20). Mais qu’ont-ils appris ces chrétiens d’Éphèse? Au verset 24, la traduction liturgique est mauvaise. Au lieu de lire : « Adoptez le comportement de l’homme nouveau… », on devrait lire : « Revêtez l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité » (Ép 4,24). Revêtir comme on revêt un vêtement, ça fait référence au baptême chrétien qui dit notre appartenance au Christ de Pâques et qui nous invite à partager avec celui qui est dans le besoin (Ép 4,28).

Et dans l’évangile de Jean, si la foule court après Jésus, ce n’est pas d’abord parce qu’elle a réalisé qu’elle avait faim du Christ ressuscité, mais bien parce qu’elle a profité du don et du partage du pain : « Jésus dit : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés » (Jn 6,26). Il faut donc à cette foule qui veut suivre le Christ, apprendre à devenir un peuple de frères et de sœurs qui s’entraident et qui partagent le Pain de Vie qu’est le Christ lui-même. Ce pain-là apaise toutes les faims et étanche toutes les soifs : « Jésus leur répondit : Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif » (Jn 6,35). Mais attention! Il faudra d’abord à tous ces gens, traverser leur désert. C’est le prix de la liberté; c’est le prix de l’amour.

En terminant, je voudrais vous partager cette belle réflexion de Michel Hubaut : « La grandeur de l’homme est d’être un marcheur qui doit progresser de campement en campement pour prendre conscience de sa faim d’Absolu. On choisit rarement son désert! Il est différent pour chacun. Mais, tôt ou tard, il faut bien le traverser! Véritable école où j’apprends à vivre, à penser, à prier sans trop m’encombrer de provisions accumulées pour accueillir la manne, le don quotidien du Seigneur. Dépouillé de toutes mes réponses pieuses, superficielles, de mes anciennes sécurités, je dois creuser mes faims pour accueillir humblement le petit morceau de pain, le petit morceau d’Évangile, la petite Parole de vie qui m’empêchera de mourir ou de désespérer dans mon désert. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim! »

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

samedi 25 juillet 2009

ORDINAIRE 17 (B)

1ère lecture : 2 R 4,42-44

2è lecture : Ép 4,1-6

Évangile : Jn 6,1-15

Dimanche dernier, l’évangéliste Marc nous laissait au seuil du récit de la multiplication des pains. Cependant, la liturgie de l’année B préfère la version de saint Jean, puisque son récit nous prépare au discours sur le Pain de Vie que nous offre l’évangéliste pour les 4 prochains dimanches. Tous les évangiles mentionnent la multiplication des pains par Jésus, avec 2 versions différentes chez Marc et Matthieu. C’est dire toute l’importance que revêt pour l’Église primitive ce geste de Jésus ressuscité. Et pour saint Jean, c’est le signe par excellence qui sert de point de départ à l’enseignement du Christ sur le Pain de Vie. On peut y déceler une connotation eucharistique. Mais quelles sont les caractéristiques du récit de Jean? Quels sont les messages pour l’Église d’aujourd’hui?

1. Un signe pour les Païens : Chez saint Jean, ce récit de la multiplication des pains ou plutôt ce récit du don et du partage du pain n’a pas d’abord pour but de nourrir les foules, mais bien de révéler le Christ aux Païens. Jésus est au premier plan; c’est lui qui distribue les pains et les poissons, contrairement aux autres évangélistes, où ce sont les disciples qui le font. La scène se passe en territoire païen : « Jésus était passé de l’autre côté du lac de Tibériade (appelé aussi mer de Galilée) » (Jn 6,1). Aussi, Jean est le seul à faire intervenir Philippe et André considérés comme proches des Grecs (Jn 12,22), et il précise : « C’était un peu avant la Pâque, qui est la grande fête des Juifs » (Jn 6,4), pour bien montrer qu’il s’adresse aux chrétiens de son Église, issus du paganisme. De fait, il s’agit bien d’un récit d’Eucharistie, de vocabulaire typiquement grec et non pas de bénédiction juive : eucharistein (rendre grâce) (Jn 6,11a), diadidonai (distribuer) (Jn 6,11b), sunagein (recueillir), klasmata (morceaux) (Jn 6,12). Il faut cependant noter que, des 4 termes rituels de l’Eucharistie : prendre, rendre grâce, rompre et donner, saint Jean omet le 3è, soit rompre, car son récit vise aussi le partage du pain de la Parole en plus du pain de l’Eucharistie.

2. Le miracle du partage : Partager c’est multiplier. C’est ce que raconte le second livre des Rois, dans ce 4è miracle d’une série de 10 légendes concernant le prophète Élisée, héritier du prophète Élie (2 R 4,1-8,15). Ce récit a servi de schéma aux évangélistes pour raconter la multiplication des pains accomplie par Jésus ressuscité. Mais attention! Il ne s’agit pas d’un geste magique de la part d’un prophète ou d’un thaumaturge. Il s’agit simplement de démontrer que le don et le partage viennent à bout de toutes les faims et les soifs du monde. Lorsqu’on décide de faire don du peu que nous avons, en vue d’un partage avec les autres, le miracle se produit. Imaginez maintenant, si le fondateur du cirque du soleil, Guy Laliberté décidait de donner 40 millions à un organisme de charité, au lieu de le donner aux Russes pour un séjour de 12 jours dans l’espace, combien de faims seraient rassasiées et combien de soifs seraient étanchées…

Dans l’évangile de Jean, Philippe parle d’achat : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain » (Jn 6,7), auquel André va opposer le don : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde! » (Jn 6,9). C’est pourtant suffisant pour nourrir tout le monde et même plus, puisqu’il en reste : « Ils les ramassèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restaient des cinq pains d’orge après le repas » (Jn 6,13). Douze paniers, de quoi nourrir toute l’Église!

3. La naissance d’un nouveau Peuple : Saint Paul, dans sa lettre aux Éphésiens, nous rappelle que le baptême chrétien transcende tous nos clivages sociaux et ethniques : « Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même, il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous » (Ép 4,4-6). Mais pour y arriver, des qualités sont requises : « Ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour » (Ép 4,2). Pour saint Jean, le récit de la multiplication des pains révèle le Christ aux Païens, afin de les faire naître comme disciples du Christ, comme Église. L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Le vrai miracle n’est pas la multiplication des pains, mais la naissance d’un Peuple. Les mots le disent. Au début du texte, il s’agit d’une foule nombreuse et, à la fin, ils sont devenus cinq mille hommes. Au début, la réaction des apôtres est prisonnière du système de l’argent et du commerce où les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres : Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas!... Heureusement il y a un petit garçon qui a cinq pains et deux poissons. Ce n’est pas un économiste. C’est le cœur d’un enfant qui fait entrer dans le partage ».

En terminant, que sont devenues nos eucharisties d’aujourd’hui? Un acte de dévotion où l’on écoute distraitement une Parole et où l’on mange un morceau de pain? Ou bien une occasion de nous rassembler pour nous rencontrer et faire don de ce que nous sommes, pour le partager avec les autres? Une chose est certaine : à la messe, le pain que nous rompons et que nous mangeons, s’il ne dit rien de ce que nous avons à donner et à partager, il a beau être consacré, ce pain ne peut nous nourrir et nous transformer, ni non plus nous faire naître comme Église, comme nouveau Peuple de Dieu, comme disciples du Christ ressuscité. Peut-être y a-t-il là une des raisons de l’abandon de la majorité des chrétiens à nos rassemblements eucharistiques? Il faudrait quand même se poser la question si on veut y répondre…

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

samedi 18 juillet 2009

ORDINAIRE 16 (B)

1ère lecture : Jr 23,1-6

2è lecture : Ép 2,13-18

Évangile : Mc 6,30-34

Retour de mission des apôtres (des envoyés) auprès du Maître, compte-rendu du travail effectué auprès des gens, invitation au repos qui sera de courte durée, car la demande est grande : « Jésus leur dit : Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger » (Mc 6,31). Par ailleurs, même en vacances, la mission ne s’arrête pas. Les gens ont faim et soif d’une Parole. Ils ont besoin d’entendre une parole de réconfort, une parole d’espérance. Ils ont besoin de pasteurs qui les accompagnent sur la route parfois difficile de leur existence. Ils ont besoin d’une Bonne Nouvelle de salut. À la lecture des textes bibliques qui nous sont proposés ce dimanche, quels messages pouvons-nous en tirer? Et où en sommes-nous aujourd’hui?

Pasteurs demandés : Le prophète Jérémie, tout comme le prophète Amos de la semaine passée, dénonce avec virulence l’arrogance, le mépris et l’incompétence de ceux qui ont pour mission de guider, de rassurer et d’accompagner le peuple. Ces dirigeants sont de mauvais bergers qui servent beaucoup plus leurs intérêts personnels que ceux du peuple dont ils ont la charge : « Misérables bergers, qui laissent périr et se disperser les brebis de mon pâturage! » (Jr 23,1). « À cause de vous, mes brebis se sont égarées et dispersées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles » (Jr 23,2b). Que faire? Attendre et espérer que de vrais pasteurs, soucieux du droit et de la justice, prennent la relève. C’est ce que Jérémie annonce : « Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai dispersées. Je les ramènerai dans leurs pâturages, elle seront fécondes et se multiplieront. Je leur donnerai des pasteurs qui les conduiront; elles ne seront plus apeurées et accablées, et aucune ne sera perdue, déclare le Seigneur » (Jr 23,3-4). Le prophète Jérémie annonce donc un Messie, issu de David, qui saura rétablir le droit et la justice : « Sous son règne, le royaume de Juda sera sauvé, et Israël habitera sur sa terre en sécurité. Voici le nom qu’on lui donnera : Le-Seigneur-est-notre-justice » (Jr 23,6).

Mais cette prophétie de Jérémie s’est-elle vraiment réalisée? Au temps de Marc, les missionnaires de l’Évangile constatent que les gens sont laissés à eux-mêmes. Ils se font courir après; de sorte qu’ils n’ont même pas le temps de manger (Mc 6,31). Aussi, la barque de l’Église se dirige dans un endroit désert (Mc 6,32), les apôtres (les envoyés) veulent se reposer, mais la foule les précède; elle a soif d’une Parole de vie et d’espérance. Marc nous dit que le Christ est ému aux entrailles et il leur enseigne beaucoup de choses : « En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de pitié envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les instruire longuement » (Mc 6,34). Et pourtant, de Jérémie à Marc, il s’est écoulé plus de 5 siècles. Comment se fait-il qu’il y a encore pénurie de pasteurs, de bergers? Et qu’en est-il aujourd’hui, 20 siècles plus tard?

Pasteurs selon le cœur de Dieu : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur » (Jr 3,15a). N’est-ce pas une promesse du prophète Jérémie? Qu’est-ce que ça veut dire? Y a-t-il aujourd’hui de ces pasteurs, selon le cœur de Dieu? Je crois que oui, mais, malheureusement, ils ne se trouvent pas là où l’on pense. Le modèle de ce type de pasteurs, c’est le Christ lui-même. Dans l’extrait de la lettre aux Éphésiens que nous avons aujourd’hui, saint Paul décrit très bien ce que le Christ a été et est encore pour nous : Il nous a réconciliés avec le Dieu de l’Alliance : « Vous qui autrefois étiez loin du Dieu de l’Alliance, vous êtes maintenant devenus proches par le sang du Christ » (Ép 2,13). Il a aboli toutes les divisions : « C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, Israël et les païens, il a fait un seul peuple; par sa chair crucifiée, il a fait tomber ce qui les séparait, le mur de la haine » (Ép 2,14). Il a créé l’Homme nouveau qui n’est plus sujet de la loi de Moïse : « En supprimant les prescriptions juridiques de la loi de Moïse, il voulait ainsi rassembler les uns et les autres en faisant la paix, et créer en lui un seul Homme nouveau » (Ép 2,15). Unis dans l’Amour en un seul corps, l’Église, il a tué la haine (Ép 2,16). Il annonce la paix pour tous : « Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour eux qui étaient proches » (Ép 2,17). Finalement, il nous habite de son Esprit et nous donne accès au Père (Ép 2,18).

2,000 ans après l’événement de Pâques, où en sommes-nous aujourd’hui dans notre Église? Si Christ nous rassemble et nous réconcilie entre nous, avec Dieu, comment se fait-il que l’Église, Corps du Christ soit encore autant divisée? Notre Église est devenue tellement dogmatique, doctrinaire et légaliste, qu’elle a perdu le sens de sa mission qui consiste à rassembler et à réconcilier. Au temps de Marc, les gens de toutes les villes accouraient pour être enseignés par les apôtres. Aujourd’hui, ils sont devenus complètement indifférents, non pas du Christ de l’Évangile, mais bien des dirigeants de l’Église qui prétendent encore le représenter. Serions-nous à ce point déconnectés de la réalité des hommes et des femmes de notre temps, pour que les foules cherchent ailleurs une Parole de réconfort, un message d’espérance? L’Église serait-elle devenue élitiste? Si c’est le cas, elle ressemble beaucoup plus à la religion de l’Ancien Testament qu’à l’Église du Christ de Pâques. Et pourtant, on continue de se réclamer du Ressuscité!

Quand la foi est assujettie à des doctrines qui empêchent toute créativité, la sclérose s’installe. Quand, au nom de la religion, on exclut et on condamne des pauvres, des mal aimés, des blessés de la vie, et qu’on ne dit rien de ceux qui exploitent les autres, qui écrasent les petits et qui portent atteinte à leur dignité, comme pasteurs et comme bergers, on perd toute crédibilité. Quand la règle prime sur la personne humaine, l’enseignement se réduit en permis et en interdits, et il n’y a plus personne pour l’écouter. Notre Église est vraiment malade; elle a besoin de vrais pasteurs : des hommes et des femmes qui portent l’Évangile à bout de bras, qui ne s’enfargent pas dans les fleurs du tapis et qui sont capables de rassembler et de réconcilier. De vrais prophètes qui savent défendre la justice, même au prix de leur propre vie. Des pasteurs selon le cœur de Dieu, ce sont des personnes qui sont capables d’aimer, sans discrimination, sans condamnation et sans exclusion. Heureusement, il y en a plusieurs…Il ne nous reste qu’à les reconnaître et qu’à les écouter!

En terminant, je voudrais simplement vous citer ce beau commentaire du théologien Charles Wackenheim : « Rassembler signifie alors réconcilier. Des frères ennemis, Jésus a fait un seul corps en les réconciliant avec Dieu. Nous ne saurions nous dire ses disciples si nous n’oeuvrons pas inlassablement pour la réconciliation entre les hommes. Car des murs de la haine, il en subsiste un bon nombre. Sommes-nous de ceux qui s’obstinent à les abattre et à en empêcher d’autres de s’édifier? » Une chose est certaine, dans l’Église actuelle, on dresse des barricades, on érige des murs et on durcit des règles qui empêchent les foules d’y entrer. Quelle tristesse! De grâce, réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard!

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

vendredi 10 juillet 2009

ORDINAIRE 15 (B)

1ère lecture : Am 7,12-15

2è lecture : Ép 1,3-14

Évangile : Mc 6,7-13

Après avoir parlé de prophétisme, la semaine passée, les textes bibliques d’aujourd’hui nous parlent de responsabilité, de mission, d’apôtres. En lisant l’évangile de ce dimanche, on peut se demander qui sont ces Douze, ces apôtres que le Christ envoie en mission? S’agit-il seulement de ces 12 hommes identifiés par Marc en 3,13-19? Si tel est le cas, pourquoi Luc, qui fait une relecture de Marc, applique-t-il à 72 disciples la même mission (cf. Lc 10,1-11)? Ce qui a fait dire au théologien Gérard Sindt : « Marc insiste particulièrement sur ce chiffre douze qui signifie l’idée de la totalité du pays et de l’Église ». Ce qui veut dire que la mission d’apôtres concerne tous les croyants, tous les disciples du Christ. Mais quelle est cette mission?

Partir : « Ils partirent » (Mc 6,12a). Lorsqu’on se dit croyant, lorsqu’on se sait appelé par le Christ, la première chose à faire, c’est de partir, se mettre en marche pour faire, pour dire, pour agir. La lettre aux Éphésiens écrite par un disciple de Paul affirme solennellement que la vocation et la mission chrétienne ne sont pas l’affaire de quelques-uns : « Dans le Christ, Dieu nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard. Il nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus Christ » (Ép 1,4-5a). Ce qui veut dire que nous sommes tous appelés à partir en mission. Mais attention! L’auteur de la lettre aux Éphésiens ne dit pas que tout est prévu et fixé d’avance dans une sorte de plan de Dieu qui atténuerait notre responsabilité humaine de croyant. Au contraire, ceci engage notre liberté responsable comme croyant pour répondre à l’appel qui nous est fait.

Et lorsqu’on accepte de partir en mission, le chemin n’est pas tracé d’avance; il est à faire. L’exégète français Jean Debruynne écrit : « Jésus envoie les Douze. Cet envoi est une dépossession. Ce n’est pas un envoi à la conquête. Ce n’est pas une campagne électorale. C’est un départ de pèlerin qui n’a pas besoin d’emporter de gros bagages pour la route puisqu’il ne met sa confiance qu’en Dieu. Tout le reste lui est inutile. Il s’agit d’une mise en marche, d’un départ sur la route. Le pèlerin n’a pas d’autre demeure que la route. Il habite la marche. Même l’hospitalité, la halte ou l’étape ne doivent pas arrêter le pèlerin. L’évangile n’est pas une idéologie, c’est l’ouverture d’un chemin ».

En 1ère lecture aujourd’hui, le prophète Amos a dû partir lui aussi. Originaire de Téqoa près de Bethléem, dans le Royaume de Juda (sud), Amos reçoit la mission de prêcher dans le Royaume du nord : « Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël » (Am 7,15).

Dénoncer : En route, sur le chemin de la mission, le prophète, l’envoyé, l’apôtre doit dénoncer ce qui est contraire à la Justice, la première valeur de toute la Bible. Mais dénoncer quoi? Le prophète Amos, pour sa part, dénonce la distance qu’il y a entre le discours des croyants en Dieu et leurs actions : « Vous faussez vos poids et truquez vos balances » (Am 8,5), « vous achetez les faibles à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales » (Am 8,6). Le prophète est déconcerté par l’irresponsabilité des dirigeants du peuple : « Vous vous vautrez sur vos divans, vous buvez à même les amphores et vous mangez les meilleurs agneaux du troupeau, mais vous oubliez le peuple » (Am 6,4). Selon lui, ce que Dieu veut, c’est la Justice pour tous, et c’est pourquoi, il ne peut supporter le faste, le nombrilisme et la suffisance de certains : « Vos célébrations m’exaspèrent, vos chants me cassent les oreilles » (Am 5,21-23).

Jésus a dénoncé lui aussi l’arrogance des pharisiens et des scribes de son temps. Il traite les pharisiens d’hypocrites sur l’application du commandement de Dieu à l’égard des parents : « Vous dites : si quelqu’un dit à son père ou à sa mère : le secours que tu devais recevoir de moi est qorban, c’est-à-dire offrande sacrée…vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère : vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez » (Mc 7,11-13). Et, au sujet des scribes, il dit : « Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners. Eux qui dévorent les biens des veuves et font pour l’apparence de longues prières, il subiront la plus rigoureuse condamnation » (Mc 12,38-40).

Si on utilisait l’évangile de Matthieu, les dénonciations à l’endroit des prêtres et des pharisiens sont encore beaucoup plus virulentes que chez Marc. Même saint Paul, dans ses lettres, dénoncent lui aussi l’attitude de certains Juifs devenus chrétiens par rapport aux autres chrétiens issus du monde païen : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 3,27-28).

Libérer : La mission des croyants et des chrétiens de tous les temps est une mission de libération : « Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient » (Mc 6,13). Mais que veut dire : chasser les démons et guérir les malades? Comme le dit bien Léon Paillot : « Dans la mentalité antique, tout ce qui arrivait de mal, que ce soit une maladie ou un quelconque malheur, était attribué à des puissances mystérieuses, esprits mauvais, démons, sorts jetés à quelqu’un ». Ce qui veut dire que la libération consiste à soulager la misère des uns et à restaurer la dignité de tous ceux et celles qu’on exclut et qu’on marginalise. Comme l’esprit de domination, de possessivité, d’exploitation, de vengeance et de mépris existe toujours de nos jours, il nous faut guérir ceux et celles qui en sont victimes. Et les responsables de ces esprits mauvais se retrouvent autant dans l’Église que dans la société, d’où le rejet des missionnaires de l’Évangile.

Amos a été chassé par un prêtre, le prêtre de Béthel : « Va-t’en d’ici avec tes visions, enfuis-toi au pays de Juda; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume » (Am 7,12-13). L’apôtre Paul n’a-t-il pas rencontré pareil obstacle sur la route de sa mission? Et Jésus n’a-t-il pas été condamné, pour les mêmes raisons, par les prêtres de son temps? C’est pourquoi, la mission de libération d’aujourd’hui comme celle d’hier ne peut se faire sans heurt. Ce que dit le Ps 84 de ce jour : « Amour et vérité se rencontrent, Justice et paix s’embrassent », ce n’est pas de tout repos. Faire dialoguer l’amour et la vérité, faire communier la Justice et la paix, occasionne à tous les missionnaires de ce monde beaucoup de souffrances et de rejets

En terminant, je voudrais simplement vous partager ce beau commentaire de Brigitte Cantineau qui écrit : « Qui ne rêve de Justice et de paix? Mais quel poids de souffrance cela porte-t-il? Quel appel au secours…mais quel signe d’alliance? Dieu donne son amour et sa justice. Paix et vérité sont les fruits que la terre porte en réponse aux bienfaits de Dieu. Chacun est appelé à découvrir la justice de Dieu pour vivre pleinement la justice humaine et à recevoir la Paix de Dieu pour réaliser un monde de fraternité. Cela se fait dans la confiance et sans aucun bagage si ce n’est le strict nécessaire pour aller plus loin. Cela ne signifie pas que l’on part vide, mais que l’on prend la route empli de son message et de ce qu’il faut pour que la Parole de Dieu parvienne à chacune et chacun de ses destinataires. Il est urgent que ce message parvienne. Car la paix, l’amour, la justice et la vérité ne sont pas pour demain. Aujourd’hui Dieu nous les donne. Aujourd’hui est donc différent. Il ne peut ressembler à hier. Il ne peut se terminer avec moins qu’hier. Il ne faut pas attendre. Mais il ne faut pas croire en ses propres forces. Il faut être au moins deux. C’est dans le dialogue, le partage, le pardon et la communion que se révèle la Parole de Dieu ».

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

ORDINAIRE 14 (B)

1ère lecture : Éz 2,2-5

2ème lecture : 2 Co 12,7-10

Évangile : Mc 6,1-6

Aujourd’hui, en ce dimanche d’été, les 3 lectures bibliques qui nous sont proposées nous parlent de vocation, de mission, de présence toute discrète de Dieu à travers ses prophètes, qui sont, plus souvent qu’autrement, jugés sévèrement, condamnés, rejetés et exclus. Dans son Prologue, saint Jean ne dit-il pas, en parlant du Christ, le Verbe de Dieu : « Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1,11). Voilà le drame de l’Alliance entre Dieu et les hommes, parce que l’Alliance est rencontre, acceptation, ouverture à l’autre, transformation, nouveauté, et cette alliance ne peut s’exprimer qu’à travers les prophètes qui ne tombent jamais du ciel, mais qui naissent toujours d’en bas, dans l’épaisseur de l’histoire humaine. C’est pourquoi, il est si difficile de les reconnaître et de les écouter. À partir de ces 3 prophètes présentés dans les 3 courts extraits bibliques que nous lisons aujourd’hui, Ézéchiel, Paul et Jésus de Nazareth, quels messages pouvons-nous en tirer pour les prophètes d’aujourd’hui?

Le prophète : un humain ordinaire : Dans les 3 lectures aujourd’hui, on se rend compte que les prophètes sont d’abord et avant tout des humains très ordinaires, avec leur fragilité et leurs limites. Ézéchiel, un prêtre qui vécut au temps de Nabuchodonosor et de l’Exil à Babylone (598-587 av. J.-C.), est un prophète déconcertant, au génie varié et complexe. Il est comme les Israélites de son temps, écrasés par la défaite, désespérés et déportés à Babylone. C’est à genoux qu’il prend conscience que Dieu accompagne son peuple dans la détresse et qu’il a besoin de lui pour exprimer sa présence : « L’esprit vint en moi, il me fit mettre debout, et j’entendis le Seigneur qui me parlait ainsi : » (Éz 2,2).

Il en est de même de Paul qui écrit sa 2è lettre aux Corinthiens « le cœur serré et dans les larmes » (2 Co 2,4). Paul prend conscience de sa petitesse humaine face à la grandeur de la mission à laquelle il se sent appelé : « Les révélations que j’ai reçues sont tellement exceptionnelles que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai dans ma chair une écharde (en grec : skolops), un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour m’empêcher de me surestimer » (2 Co 12,7). S’agit-il d’un handicap physique, d’une maladie chronique ou bien de ses adversaires missionnaires éloquents et autoritaires qu’il a traités précédemment de « serviteurs de Satan » (2 Co 11, 13-15). Une chose est certaine : Paul est très humain et il l’expérimente dans sa chair : en grec : sarkos, qui désigne la fragilité de l’existence humaine.

Jésus de Nazareth n’est-il pas lui aussi un homme tout à fait ordinaire? De sorte que même sa famille le croit dérangé : « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : Il a perdu la tête » (Mc 3,21). Et dans l’extrait que nous avons aujourd’hui, l’évangéliste Marc, reprenant ce que les gens de son village disait de lui, écrit : « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous? » (Mc 6,3a). Écrire que Jésus est le charpentier, fils de Marie, ça peut vouloir dire 2 choses : 1) soit que son père, Joseph, est décédé…sinon, Marc aurait écrit que Jésus était fils du charpentier. 2) soit qu’il s’agit d’une famille à la réputation douteuse, car à l’époque, on ne disait jamais de quelqu’un qu’il était le fils de sa mère. Une chose est certaine : Jésus de Nazareth a été un homme tout à fait ordinaire, dans un milieu très ordinaire, un village obscur qui a fait dire à l’évangéliste Jean : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon? » (Jn 1,46a).

Le prophète dérange : Un prophète porte toujours une parole qui dérange. Il est celui qui dénonce les situations d’injustice, qui remet en question, qui interpelle et qui invite au changement, à la nouveauté. Nous sommes tous et toutes réfractaires aux changements. On s’enlise facilement dans ses vieilles habitudes et on justifie sa passivité en s’appuyant sur des doctrines et des règles dont on décrète qu’elles sont la Vérité. Et pourtant, il n’y a pas de vérités toutes faites, absolues, inchangeables…et pour nous rappeler cette réalité, Dieu doit nécessairement passer par des hommes et des femmes comme nous, d’où le refus, le rejet et la condamnation des prophètes. Le théologien Michel Hubaut écrit : « Si Dieu avait voulu prendre l’homme à rebrousse-poil comme on dit, il ne pouvait pas mieux trouver que l’Incarnation! Car s’il y a une constante dans l’histoire de la révélation judéo-chrétienne c’est bien la propension de l’homme à vouloir rencontrer Dieu dans des manifestations extraordinaires, miraculeuses, à confondre surnaturel et merveilleux. Discerner l’action de Dieu dans la trame ordinaire de l’existence humaine est un long apprentissage. Au fil de l’histoire, on s’aperçoit que Dieu préfère les théophanies du quotidien aux théophanies à grand spectacle. Et la plus grande, celle de la venue parmi nous de son propre Fils Jésus, sera d’une telle discrétion! Un enfant nouveau-né, un charpentier, un crucifié! On ne peut pas dire que ce Messie flatte l’attente spontanée des foules ».

Par ailleurs, tous les prophètes le savent : la Parole, la Bonne Nouvelle qu’ils ont à annoncer sera automatiquement mal reçue. La nouveauté perturbe, dérange. Elle empêche de ronronner. La nouveauté suscite la perplexité, le rejet. Le prophète Ézéchiel l’a expérimenté : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ce peuple de rebelles qui s’est révolté contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi, et les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné » (Éz 2,3-4a). Saint Paul l’exprime aussi de belle façon : « C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10). Et l’évangile de Marc fait dire à Jésus ce dicton célèbre : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison » (Mc 6,4), car il faut bien le reconnaître, certains jours, l’humanité de Dieu nous choque. On préférerait un Dieu autoritaire, tout-puissant qui impose ses récompenses et ses punitions…Heureusement, ce Dieu n’existe pas!

Le vrai prophète : Comment discerner le vrai du faux prophète? Il faut être prudent et attentif aux signes des temps. Malheureusement, dans l’Église actuelle, certains croient qu’ils sont de véritables prophètes à cause de l’impopularité de l’institution et des critiques qu’ils subissent à cause de leur intransigeance, de leur sévérité et des propos qu’ils tiennent. Mais attention! Le fait d’être critiqué ou rejeté ou encore de laisser indifférents les gens qui m’entourent, ne fait pas de moi, automatiquement, un vrai prophète. La parole que je porte doit être une Bonne Nouvelle, une Parole qui libère, qui sauve et qui fait espérer. Et c’est pourquoi, les vrais prophètes ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Ils sont rarement soutenus et appuyés par les institutions, même l’Église…car l’Église, elle aussi, n’aime pas le dérangement, le changement, la nouveauté, et ses prophètes sont souvent suspectés. Le théologien Hyacinthe Vulliez écrit : « Quand on veut se débarrasser d’un prophète, on a coutume de le traiter d’anormal, d’atypique et enfin d’étranger, ce qui permet de l’éloigner et même de le tuer. On n’aime pas celui qui tient un discours autre que le discours convenu, il dérange, il fait sortir du ronron habituel, et ça, on n’aime pas! On préfère se parler à soi-même, on aime tellement la tranquillité de l’entre-nous. Aujourd’hui, pas moins qu’autrefois, on tue les prophètes, mais autrement qu’en les faisant mourir à coups de bâton ou sous les jets de pierres, autrement qu’en les suspendant à des croix. Autrement! En jetant sur eux le discrédit par la calomnie, en leur attribuant généreusement les qualificatifs les plus dépréciatifs, en chloroformant ou en droguant les foules par des propos de langue de bois, en refusant de reconnaître la nouveauté de leurs paroles : On sait bien ce qu’il va dire! On reste ainsi dans sa bulle, refusant de quitter la béatitude de l’autosatisfaction. Comme les Nazaréens! Pour ne pas devoir écouter la Parole du prophète Jésus, ils faisaient eux-mêmes les questions et les réponses ».

En terminant, le verset qui dit : « Et là, Jésus ne pouvait accomplir aucun miracle… » (Mc 6,5a), risque de surprendre. Nous avons là la preuve qu’un miracle n’est pas un prodige qui bouleverse les lois de la nature, mais qu’il s’agit bien d’un signe qui dit la proximité de celui qui le fait avec celui qui le voit. Ce qui signifie que pour que le miracle, le signe puisse se réaliser, il faut une inter/relation, une foi/confiance entre celui qui le donne et celui qui le reçoit; sinon, ni la Parole, ni le signe ne peuvent produire leurs fruits. Si c’était vrai au temps de Jésus, ça l’est encore pour nous aujourd’hui…

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette

ORDINAIRE 13 (B)

Ordinaire 13 (B) : 28 juin 2009

1ère lecture : Sg 1,13-15; 2,23-24

2ème lecture : 2 Co 8,7.9.13-15

Évangile : Mc 5,21-43

Vie et mort : de quel côté se tient le Seigneur?

À la lecture des textes bibliques d’aujourd’hui, en particulier la 1ère lecture et l’évangile, cette question est percutante : notre Dieu veut-il la mort ou la vie? Encore aujourd’hui, on entend trop souvent des gens dire que Dieu fait mourir. Et pourtant le livre de la Sagesse écrit entre 50-30 av. J.-C., et l’évangile de Marc écrit vers 70 de notre ère, disent le contraire. Dieu nous veut vivant et lorsque la vie nous échappe, il la restaure et nous la redonne. Quelle Parole de Dieu pouvons-nous proclamer aujourd’hui, à partir des textes qui nous sont proposés?

La justice est immortelle : Si on lit bien l’extrait du livre de la Sagesse qui nous est proposé aujourd’hui (malheureusement, la liturgie a coupé deux développements sur l’erreur de ceux qui ne croient qu’à cette vie et sur le sort du juste persécuté), on se rend compte que la vie voulue par Dieu ne consiste pas seulement à respirer, mais comporte de la dignité, donc une qualité de vie. Sinon, il ne peut y avoir de vie. Pour comprendre, il nous faut situer cet extrait dans son contexte historique : Nous sommes à Alexandrie en 26 av. J.-C. La science a déjà bien progressé; la justice laisse à désirer. On refuse aux Juifs le droit de citoyenneté. On réprime à tours de bras; on condamne pour rien. Voilà pourquoi l’auteur dit que la justice est inconciliable avec la mort. Car Dieu aime la vie. Et si les médecins sont capables de faire des produits non empoisonnés, pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant pour vivre ensemble? Malheureusement, on assiste à une oppression et une exploitation croissante des pauvres de la part de dirigeants sans scrupules qui ne se soucient que de leur confort. Ceux-là sont diaboliques, c’est-à-dire adversaires de Dieu, car c’est par eux que la mort est entrée dans le monde. C’est de cette façon que s’exprime l’auteur du livre de la Sagesse : « La mort est entrée dans le monde par la jalousie du démon, et ceux qui se rangent dans son parti en font l’expérience » (Sg 2,24).

Mais attention! Les adeptes du diable ne sont pas nécessairement ceux qu’on pense…Ce sont ceux qui sont injustes, c’est-à-dire qui exploitent, oppriment et maintiennent les autres dans la pauvreté et la misère. Dans le fond, l’affirmation solennelle de l’auteur du livre de la Sagesse : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image (litt. une idiotie) de ce qu’il est en lui-même » (Sg 2,23). Le théologien Gérard Sindt écrit : « Ce terme idiotie aujourd’hui péjoratif indique ici la singularité irréductible de Dieu. Son originalité est justement de n’exister que pour faire vivre. Ce que la médecine balbutiante du temps peut faire, pourquoi la société ne le pourrait-elle pas en acceptant le Dieu de la Vie? » Cependant, pour accepter le Dieu de la Vie, il faut travailler à restaurer la justice; sinon, la vie est impossible. C’est très actuel comme pensée, car aujourd’hui encore, la justice reste à faire pour que les hommes et les femmes puissent vivre dans la dignité.

L’égalité est nécessaire : Voici le contexte historique de la 2è lettre aux Corinthiens. L’Église de Jérusalem est en difficulté et les communautés fondées par Paul ont décidé de faire une collecte pour lui venir en aide. Les Corinthiens ont été les premiers à vouloir la solidarité, mais ils tardent à passer à l’acte, et Paul les relance. C’est une question de justice, mais aussi d’égalité, en grec : isotês. Et l’argument de Paul, c’est de dire aux Corinthiens : Vous avez reçu beaucoup; vous devez donner davantage : « Puisque vous avez reçu largement tous les dons : la foi, la Parole et la connaissance de Dieu, cette ardeur et cet amour que vous tenez de nous, que votre geste de générosité soit large, lui aussi » (2 Co 8,7).

Et saint Paul donne en exemple le Christ Jésus : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8,9). C’est une question d’égalité, et celle-ci est nécessaire pour donner de la dignité à la vie. Encore une fois, ce texte de saint Paul est très actuel dans notre Église d’aujourd’hui, où la vie de certaines communautés n’est plus possible, parce que devenues trop pauvres pour subsister. Que faire? C’est à nous d’en décider!

L’Église doit donner la vie : À travers ce récit de Marc de la double guérisons de Jésus, nous sommes plongés en pleine liturgie. Deux femmes, symboles de l’Église naissante : une jeune fille de 12 ans, qui ne peut devenir féconde, parce qu’elle se meurt et une femme, anonyme celle-là, qui a perdu sa fécondité depuis 12 ans, parce que rejetée et exclue de la communauté. Toutes les deux, touchées par le Christ sont guéries et peuvent donner la vie. Il réveille, relève, ressuscite la première sur la foi de son père Jaïre qui signifie il illumine, et il réintègre la seconde dans la communauté sur sa propre foi à elle; elle qui était rejetée et exclue, elle prend le risque de sortir de l’anonymat, parce que sa foi est plus grande que son exclusion. Toutes les deux donc, redeviennent fécondes, comme s’il s’agissait d’un baptême au nom du Christ ressuscité. Et la liturgie se continue par l’invitation à l’Eucharistie. En parlant de la jeune fille, Jésus leur dit de la faire manger (Mc 5,43). L’Église qui a pour mission de donner la vie, doit elle-même se nourrir du Pain de Vie qu’est le Christ de Pâques.

Encore une fois, ce récit est très actuel pour nous chrétiens d’aujourd’hui. L’Église qui se doit d’être maternelle, ne peut l’être qu’à travers nous, les croyants. En refusant d’être féconds, de donner la vie, on est comme cette jeune fille qui se meurt, et, en refusant à d’autres d’être féconds, on condamne des chrétiens, comme cette femme de l’évangile, au rejet, au mépris et à l’exclusion. Et pourtant, dans les deux cas, seule la foi au Christ ressuscité peut guérir et sauver…et ce n’est pas aux autres, même aux dirigeants de l’Église d’en décider. Le théologien Marcel Metzger écrit : « Cette proclamation d’évangile nous invite à la contemplation : reconnaissons les merveilles de Dieu, non seulement dans le passé, mais encore dans le présent. Les gestes du Christ dans cet évangile annoncent ceux qu’il accomplit aujourd’hui au sein de son Église : il nous atteint de sa main bienfaisante et il se laisse toucher, il relève et guérit par tous les gestes de communication et de communion accomplis dans nos célébrations. Il donne à son peuple une mission maternelle, qui ne peut s’accommoder d’un rétrécissement de l’Église à la seule hiérarchie! »

Et je termine par cette belle réflexion de l’exégète français Jean Debruynne qui dit : « Il s’agit de deux guérisons. Une petite fille qu’il faut guérir de la mort et une femme qu’il faut guérir de ses pertes de sang, c’est-à-dire de sa vie qu’elle perd, de la vie qui s’en va. D’abord, il n’y a pas d’âge pour guérir. Il est toujours temps de guérir. Ensuite Jésus est celui qui guérit. Jésus ne fait pas de beaux discours sur la souffrance des autres. Jamais Jésus n’a osé recommander d’offrir sa souffrance en sacrifice à Dieu. Jésus ne fait que guérir. Il guérit du mal et de toutes les morts ».

Bonne réflexion!

Bonne Homélie!

Raymond Gravel ptre

Diocèse de Joliette